Jusqu’au 31 juillet 2020, la Halle Saint-Pierre, à Paris, accueille Le Monde selon Roger Ballen. Pour la première fois en France, cette rétrospective invite le visiteur dans l’œuvre de cet artiste inclassable. Plongée dans un monde à la frontière de la folie.
Dès qu’il entre dans la première pièce de la rétrospective proposée à la Halle Saint-Pierre, au pied du Sacré-Coeur, le visiteur comprend qu’il pénètre dans un monde étrange et incertain. Ce monde, c’est celui du photographe Roger Ballen, né à New York et installé à Johannesburg, en Afrique du Sud. Dans son œuvre, l’artiste explore les tréfonds de la condition humaine. Souvent comparé à Jean Dubuffet et assimilé à l’art brut, Ballen crée dans ses images et installations des espaces non capitonnés dans lesquels la folie s’exprime librement. Mais peut-on vraiment parler de folie ? Soucieux que le spectateur comprenne son univers qu’il qualifie lui-même de « ballenesque », l’auteur redoute les jugements hâtifs qui viendraient parasiter la forme au profit d’une surinterprétation hasardeuse.
Géologue de formation, son métier lui a permis de parcourir le monde. C’est ainsi que Roger Ballen est allé à la rencontre des personnes mises à la marge dans les petites villes isolées du vaste territoire sud-africain. Au fil de ses activités, son travail va peu à peu évoluer d’une pratique photographique presque documentaire à des compositions plus sophistiquées. Des décors élaborés, des dessins, des sculptures… son identité visuelle se construit et s’affirme jusqu’à devenir sa véritable signature. Parfois critiqué pour sa mise en scène de personnes marquées par les troubles mentaux, il a toutefois acquis une notoriété internationale. Grâce à sa collaboration avec le groupe Die Antwoord, notamment sur le clip I fink u freeky (2012), son esthétique dépasse les frontières des salles de musées.
Le vivant fait son entrée
C’est une dimension hors du commun qui s’ouvre dans la salle du rez-de-chaussée de la Halle Saint-Pierre. Un espace sombre fait d’automates désarticulés résidents d’une scénographie composée de vieux meubles, de fils de fer, de tapis épais… Dans une lumière tamisée, ce petit théâtre, peuplé de rats et d’oiseaux, fonctionne comme un manège inquiétant. Sur le papier peint de murs éphémères, les têtes difformes dessinées par des traits gras se succèdent. Réalisés par Roger Ballen ou par certains de ses modèles, ces motifs rappellent Le Cri d’Edvard Munch, des têtes de mort venues d’une mystique imaginaire ou encore, des dessins d’enfants d’où aurait disparu toute expression faciale. Dans cette pièce, le public est tout de suite mis en condition : il peut toujours faire marche arrière, mais ce serait dommage.
C’est en montant au premier étage de l’exposition que le visiteur comprend. L’univers qu’il vient de quitter est aussi celui par lequel Roger Ballen a construit son œuvre photographique. Dans des moyens formats carrés, majoritairement noir et blanc (il n’est passé à la couleur que très récemment), l’artiste expose plus de 20 ans de création. On retrouve son univers cloisonné, mais cette fois-ci, mélangé aux artifices, le vivant fait son entrée. Il arrive souvent par morceaux (ici un bras, là un pied…), parfois par la présence animale (toujours les rats et les oiseaux), ou encore des personnages aux profils singuliers, hors-normes. À travers ces représentations nous est présenté un ensemble d’images d’une beauté troublante, d’une puissance certaine, d’une composition formelle maîtrisée. Que l’on y adhère ou non, ce qui est certain, c’est que l’œuvre de Roger Ballen ne saurait laisser le spectateur indifférent.
© Roger Ballen