L’écocide en ligne de mire

29 février 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
L’écocide en ligne de mire
© Oleksandra Zborovska, When The River Left The Shores, 2023
© Yana Kononova
© Nicola Bertasi, Declassified memory _1, 2017-2020

Ce terme est brutalement réapparu dans l’actualité avec la guerre en Ukraine et la destruction du barrage de Kakhovka, dans le sud du pays, le 6 juin 2023. Un événement accompagné d’un déluge d’images dans les médias et sur les réseaux sociaux, imposant une nouvelle vision de la guerre. En Ukraine, mais aussi en Syrie ou au Vietnam, certains photographes posent un nouveau regard sur la notion d’écocide. Cet article, rédigé par Camille Leprince, est à retrouver dans notre dernier numéro.

Même s’il est de plus en plus présent dans le langage à l’ère de l’anthropocène, le terme « écocide » reste parfois opaque. La définition du Larousse précise le phénomène : « Grave atteinte portée à l’environnement, entraînant des dommages majeurs à un ou plusieurs écosystèmes, et pouvant aboutir à leur destruction. » En Ukraine, l’incrédulité a été la première réaction face aux conséquences de l’explosion de la centrale hydroélectrique associée à un barrage et à un réservoir situés sur le Dniepr. Ce fleuve a une importance stratégique pour l’alimentation en eau jusqu’en Crimée, mais également pour le refroidissement de la centrale nucléaire de Zaporijia. Une fois la stupéfaction passée, les photographes Yana Kononova et Oleksandra Zborovska se sont demandé comment rendre compte de ce désastre. La première s’est lancée dans Desperation of The Landscape, une recherche artistique avec différents médiums, dont la photographie. Elle a capté des scènes de loisirs (baignade et pêche) devenues presque irréelles alors que la quantité d’eau a drastiquement baissé. Kononova les a juxtaposées à d’autres vues des environs, plus sauvages et désertiques, en un collage qui brouille la ligne d’horizon entre les deux situations et laisse percer une angoisse palpable noyée dans des gris orageux. La seconde, elle, a fait le choix d’un autre dispositif pour rendre compte d’une des mémoires du lieu où elle a passé les étés de son enfance. Confrontée à l’irréversible, Zborovska s’est penchée sur la nature soudain transformée. Munie d’un film couleur 35 mm, elle s’est rendue sur l’une des îles du fleuve. Elle y a trouvé une flore, jadis verdoyante et où nidifiaient des oiseaux, aujourd’hui en partie desséchée. À partir de ces images prises sur le terrain, elle a utilisé de l’eau du fleuve préalablement chauffée pour altérer le processus de révélation/fixation. Une expérimentation étonnamment vibrante qui ranime les souvenirs de l’autrice.

Si ces pratiques témoignent à leur manière de l’écocide en cours en Ukraine, d’autres zones qui connaissent des catastrophes écologiques liées à la guerre restent des « trous noirs » de l’information. C’est le cas de la région de Deir ez-Zor, à l’est de la Syrie, explorée par Michel Slomka dans sa série Topographies I. Le photographe avait déjà utilisé les images satellites de Google Maps afin d’étudier les violences de masse, et les a exploitées dès qu’il a compris que celles-ci contribuaient à mettre en lumière des processus difficilement observables depuis le sol. De ces images, qui relèvent d’un travail d’enquête, émane aussi une part de mystère et d’abstraction. Un supplément de beauté dû au renversement des perspectives habituelles et à un noir et blanc aussi épuré qu’énigmatique, qui ouvre un espace de réflexion et d’émotion. Ce travail rend compte à sa manière d’une véritable guerre du pétrole, débutée lorsque Daech s’est emparé du territoire en 2014. On y découvre la prise de contrôle des puits de pétrole, la naissance d’une économie de guerre, la création des raffineries artisanales et les convois de camion destinés à l’export ; puis l’effort aérien de la coalition menée par les États-Unis pour détruire ces ressources qui enrichissaient Daech ; enfin, la bataille pour reprendre le contrôle de ces zones, notamment Deir ez-Zor. Mais depuis la reprise de la région par le régime syrien et les Kurdes autonomes, l’exploitation des hydrocarbures se poursuit du fait de la pauvreté et du désarroi qui règnent, toujours avec le risque qu’un accident libère des substances toxiques empoisonnant les sols et les êtres, sans parler des fumées de combustion.

© Michel Slomka
À lire aussi
Focus #69 : Michel Slomka et l’autre regard sur la guerre d'Ukraine
05:18
Focus #69 : Michel Slomka et l’autre regard sur la guerre d’Ukraine
C’est l’heure du rendez-vous Focus ! Cette semaine, Michel Slomka nous parle de Topographies II – Ukraine. Dans cette série le…
31 janvier 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Fisheye #63 : des combats et des résistances
© Thaddé Comar
Fisheye #63 : des combats et des résistances
Le dernier numéro de Fisheye est disponible dans les kiosques et sur le store, avec une thématique d’actualité : penser la guerre…
03 janvier 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Explorez
Matthieu Gafsou au Centre Claude Cahun : le corps humain face au vivant
© Matthieu Gafsou
Matthieu Gafsou au Centre Claude Cahun : le corps humain face au vivant
Jusqu'au 25 janvier 2025, le Centre Claude Cahun accueille une exposition de Matthieu Gafsou, Est-ce ainsi que les hommes vivent ? qui...
23 octobre 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
À la MEP, l’histoire de la photographie se révèle à travers celle des plantes
© Ali Kazma / Courtesy Francesca Minini, Milan
À la MEP, l’histoire de la photographie se révèle à travers celle des plantes
Jusqu’au 19 janvier 2025, la MEP invite son public à découvrir le monde fascinant de la flore au travers de Science/Fiction – Une...
21 octobre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Le chant des sirènes : les artistes racontent l’eau à la Villa Médicis
© Madison Bycroft
Le chant des sirènes : les artistes racontent l’eau à la Villa Médicis
Pour son exposition d’automne, l’Académie de France à Rome – Villa Médicis propose un voyage autour du thème de l’eau à travers les...
11 octobre 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
Flowers Drink the River : nature et inclusivité, selon Pia-Paulina Guilmoth
© Pia-Paulina Guilmoth
Flowers Drink the River : nature et inclusivité, selon Pia-Paulina Guilmoth
En quête de beauté et de magie, Pia-Paulina Guilmoth photographie au cœur de la nuit sa famille choisie. Ses images, quasi hantées, nous...
04 octobre 2024   •  
Écrit par Agathe Kalfas
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Dans l’œil de Kati Leinonen : quand l’amour des chevaux vire au drame
© Kati Leinonen
Dans l’œil de Kati Leinonen : quand l’amour des chevaux vire au drame
Aujourd’hui, plongée dans l’œil de Kati Leinonen, autrice d’Äimärautio, dont nous vous parlions déjà il y a quelques semaines. Dans cette...
28 octobre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Contrastes et mélancolie : l’influence de Robert Frank
© Marley Hutchinson
Contrastes et mélancolie : l’influence de Robert Frank
Cette année marque le centenaire de la naissance de Robert Frank. À cette occasion, plusieurs évènements, à l’instar de...
28 octobre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les coups de cœur #516 : Maru Kuleshova et Rebeca Balas
© Maru Kuleshova
Les coups de cœur #516 : Maru Kuleshova et Rebeca Balas
Dans nos coups de cœur de la semaine, Maru Kuleshova et Rebeca Balas examinent les profondeurs du corps humain. L’épiderme devient le...
28 octobre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Les images de la semaine du 21.10.24 au 27.10.24 : voyages dans l’espace et la mémoire
© Valentin Valette
Les images de la semaine du 21.10.24 au 27.10.24 : voyages dans l’espace et la mémoire
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les photographes nous proposent divers voyages aux confins du monde comme de la mémoire.
27 octobre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet