À l’occasion des Rencontres d’Arles 2021, Sylvie Hugues exposait une série émouvante, retraçant les lieux d’un drame familial : l’assassinat de sa mère par son beau-père. Dans cette enquête à la poésie troublante, associant textes, photos d’archives et photos contemporaines, elle trouvait enfin le courage d’exorciser ce traumatisme ancien. Cet article est à retrouver dans notre dernier numéro.
En parcourant pour la première fois cette exposition, dans le jardin d’une maison arlésienne, entre deux rendez-vous, le front humide de chaleur, je ne pensais pas prendre une telle claque. Nous sommes à l’été 2021 en pleines Rencontres. Sylvie Hugues est une amie de longue date, et une consœur reconnue pour son professionnalisme et sa rigueur. Elle est à l’origine du festival du Regard à Cergy-Pontoise et, depuis 2021, elle est correspondante de l’Académie des Beaux-Arts. Mais Sylvie est aussi photographe. Elle vient alors d’être lauréate d’une résidence à la Fondation des Treilles et propose le rendu d’un travail très personnel. En arrivant, je ne suis pas au courant du sujet que je découvre au fil des quatorze stations du chemin de croix imaginé par Sylvie. L’intrigue est basée sur une enquête au long cours qu’elle a menée en Espagne pour tenter de comprendre pourquoi, près de quarante ans auparavant, sa mère a été assassinée par son beau-père sans que l’on ne sache pourquoi. « J’étais rédactrice en chef de Réponses Photo, et j’ai été licenciée sans raison de manière très brutale. Cette violence a fait remonter en moi le meurtre de ma mère. » Nous sommes en 2014 et, à partir de ce moment, Sylvie va essayer de reconstituer son itinéraire familial enfoui depuis longtemps.
Son père et sa mère se marient en 1951. La première fille du couple meurt . Sylvie arrive dix ans plus tard, devançant une troisième fille mort-née. « Mon père a quitté ma mère en 1971 pour une autre femme qui lui a enfin donné un héritier. Ma mère était née en France, mais de parents espagnols. Elle a décidé de quitter la France pour s’occuper de moi. Avec la pension de mon père, ses économies et le change favorable au franc face à la peseta, nous vivions dans de bonnes conditions. » Cette installation au sud de Valence, au bord de la mer, a pour toile de fond sur la fin du régime franquiste. Franco décédera en 1975. « Je suis allée à l’école avec les religieuses, que j’ai retrouvées quand je suis revenue quarante ans après. » La mère de Sylvie aspire au beau, fait très attention à son apparence et ne passe pas inaperçue dans cette société très conservatrice et ouvertement catholique. « Elle a rencontré Miguel, qui est devenu mon beau-père. Mais le divorce étant à l’époque illégal en Espagne, ma mère m’obligeait à raconter que mon père était mort et qu’elle était veuve. Ce qui ne changeait pas grand-chose car, la nouvelle épouse de mon père me détestant, je ne le voyais presque jamais. »
© Sylvie Hugues
Pour la résidence des Treilles, elle propose ce sujet qui la hante. Mais cela devient concret quand elle est désignée lauréate et qu’elle se lance dans une série de voyages sur les lieux de son enfance. « J’ai retrouvé le fils de Miguel dans les Pages jaunes car je me souvenais qu’il était kiné. Il était plus âgé que moi, mais il avait vécu avec nous au début. Je l’aimais beaucoup, il jouait un rôle de grand frère. Je suis allée à l’adresse indiquée dans l’annuaire et là, surprise, c’était l’appartement où nous nous étions installés en arrivant en Espagne ! La rue a changé de nom après la mort de Franco. Et même si c’était le fils du meurtrier de ma mère, nos retrouvailles furent très chaleureuses. Il me cherchait depuis de nombreuses années. » Ses deux meilleures amies de l’époque, elle les retrouve sur Facebook. L’une est psy pour enfant, l’autre avocate. « C’était comme si nous nous étions quittés la veille. »
Petit à petit, au bout de quatre voyages, de rencontres et de redécouvertes, Sylvie réunit des pièces du puzzle. Mais la question centrale reste sans réponse. Pourquoi Miguel a-t-il tué la mère de Sylvie ? « Je me souviens très bien du jour où cela est arrivé. Je revenais d’un voyage scolaire à Lourdes auquel je ne voulais pas me rendre, car je pressentais quelque chose. » Miguel n’a rien dit pendant son procès et ne sera condamné qu’à six ans de prison, qui seront réduits à deux années. Il meurt quelques mois avant que Sylvie n’entreprenne son premier voyage. « Moi-même, pendant le procès à l’époque, j’ai été incapable de parler ni d’exprimer mes émotions. Personne n’est préparé à cela, encore moins une enfant. » La question des féminicides est devenue une cause nationale en Espagne, où le pays a dédié une journée et a consacré des structures pour lutter contre ce fléau.
Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #54, disponible ici.
© Sylvie Hugues