Découverte récente, coup de foudre artistique, ou même artiste phare… Dans chaque numéro, différents membres de l’équipe Fisheye prennent la parole et partagent leur obsession photographique du moment. Lumière aujourd’hui sur Olivier Saint-Hilaire, choisi par Alexandre Mouawad, secrétaire de rédaction.
C’est un trou de verdure où se cachent des ordures. Tapie à 30 kilomètres au nord-est de Verdun, cette clairière semble un havre de paix. Elle est, tout compte fait, un havre de guerre. Ici même, sur la place à gaz de la forêt domaniale de Spincourt, il y a presque cent ans, en 1928, quelque 200 000 obus toxiques, rebuts de la trop Grande Guerre, ont été brûlés en toute discrétion pour qu’on en récupère le métal. Depuis, rien n’a eu la chance de pousser sur ce sol contenant 17 % d’arsenic sur 40 cm d’épaisseur. Des décennies plus tard, l’oubli aidant, des gardes-champêtres venaient y casser la croûte le midi ou y faire un barbecue, des sociétés de chasse y dépeçaient leurs proies en toute ignorance avant que l’Office national des forêts n’en interdise l’accès il y a quinze ans. Les sangliers, eux, continuent d’y faire leurs bauges, baignant parmi d’inaltérables déchets cheminant jusqu’à la nappe phréatique et dans les cours d’eau environnants. Le reporter Olivier Saint-Hilaire est devenu chercheur suite à cette découverte en se lançant dans une thèse sur les déchets et les contaminations des munitions de la Première Guerre mondiale à l’EHESS. Je suis particulièrement sensible aux deux menaces que je vois dans cette image. La menace que fait peser l’industrie sur la terre pour peu qu’elle y trouve, même à très court terme, son compte. Et en retour la menace qu’adresse le photographe à ceux qui continuent d’empoisonner le monde dans lequel nous vivons : « Je vous vois faire, car j’ai vu ce que vous avez fait. » À la manière d’un sous-entendu, il n’existe à mon sens rien d’aussi efficace que la « contreforme », sorte de negative space dans la composition psychique de certaines oeuvres. Quand un artiste montre ce qui fait défaut, la marge, l’espace laissé vacant. Ici le noir en lieu et place de l’herbe verte. Un trou de non-verdure
© Olivier Saint-Hilaire