Eleonora Sabet et Alexandre Bagdassarian, nos coups de cœur #384 voient le médium photographique comme un outil permettant la rencontre. L’une s’en sert pour documenter l’intimité queer, et l’autre, différents enjeux sociaux.
Eleonora Sabet
Née en 1995 à Milan, Eleonora Sabet a commencé à expérimenter avec la photographie à travers l’autoportrait. « J’ai découvert le 8e art à une période sombre, où j’essayais de comprendre et d’analyser mes traumatismes passés. Au lieu d’écrire dans un journal, je prenais une photo de moi par jour », se souvient-elle. En 2018, l’autrice d’origine syrienne et palestinienne voyage au Moyen-Orient pour parfaire sa technique. Un périple qui développe son amour des sujets sociaux. Guidée par son instinct, l’artiste porte aujourd’hui son attention sur les minorités et la manière dont elles sont représentées. Dans Have you ever dreamed of a day like this?, elle questionne son propre rapport aux autres. « Lors d’une conversation avec ma meilleure amie, j’ai réalisé que j’avais du mal à photographier les femmes. J’ai ainsi réalisé que cette anxiété était liée à ma peur de les sexualiser, puisque je suis lesbienne », explique-t-elle. Dans sa chambre, elle improvise alors une sorte de studio, d’endroit sûr où ses modèles peuvent se dévoiler. En parallèle, la série prend racine dans une autre peur d’Eleonora Sabet : celle de l’abandon. « L’identité de genre et la romance liées à la communauté queer sont également présentes dans la narration, puisqu’elles sont fondamentales dans l’intimité d’une lesbienne non-binaire », ajoute-t-elle. Un besoin de reconnaissance et d’individualité se traduisant par des textes, écrits à la main par les modèles sur les images – une manière de leur donner l’espace nécessaire, et de laisser entendre leur voix.
© Eleonora Sabet
Alexandre Bagdassarian
« Pour moi, la photographie n’est pas un outil reflétant avec transparence le réel. Elle est une porte d’entrée, un passage rempli d’affects puissants qui se compose devant nous. Ma pratique est avant tout ancrée dans la réalité du temps et de l’histoire. Construire des séries me permet aussi de développer une vision sensible et poétique »
, explique Alexandre Bagdassarian. Alors qu’il étudie aux Arts décoratifs de Paris, l’auteur passe un semestre au Chili, entre 2013 et 2014, qui ancre un lui un amour du voyage éprouvé depuis son enfance. Après un passage de quelques années dans un studio publicitaire, il revient aujourd’hui à une pratique plus ancrée dans le documentaire. Dans ses images, portraits contemplatifs et panoramas déserts se croisent, renforçant notre lien au vivant « Un très fort bégaiement a entravé mes vingt premières années, socialement et humainement. La photographie offre un moyen – presque thérapeutique – de s’exprimer différemment, d’apprendre à aller vers l’autre », poursuit-il. Une empathie qu’il poursuit dans ces deux derniers projets en date : « l’un traite de la solitude et de la notion d’identité dans le désert d’Atacama, et l’autre de la mémoire collective et individuelle de la société arménienne qui ne cesse d’accumuler des traumatismes géopolitiques et sociétaux », précise l’auteur. Un goût pour l’évasion, l’inconnu, les coutumes et récits en terres étrangères qu’il développe à l’argentique, au moyen-format.
© Alexandre Bagdassarian
Image d’ouverture : © Eleonora Sabet