Rhoda Tchokokam et Emmanuelle Firman, nos coups de cœur de la semaine, redonnent vie à des fragments d’existence. La première les immortalise dans les rues d’Abidjan tandis que la seconde les met en scène dans un lieu qui la fascine.
Rhoda Tchokokam
Dans une ville traversée par les rayons du soleil se découvre une multitude de nuances. Des tissus colorés contrastent avec les murs. Des fruits et des légumes égayent les étals des marchés. Une assiette verte, remplie de coquillages, orne le tableau de bord d’un véhicule. Une jeune fille vêtue d’une robe orange ou des hommes en chemise blanche habitent ces images épurées. Plus loin, sur le sable, quelques silhouettes se rhabillent après avoir goûté l’eau de la mer. « L’idée m’est venue au cours d’un voyage à Abidjan, que je continue de visiter avec l’intention d’y vivre, nous explique Rhoda Tchokokam. Comme la plupart des grandes capitales africaines, la ville et ses environs se parcourent en voiture, et je me suis parfois sentie frustrée de ne pas avoir plus de possibilités de la découvrir dans d’autres conditions, de ralentir et de laisser le hasard faire les choses. Puis finalement, j’ai accepté la distance, et la version altérée de la réalité qui s’y est installée. » Dans Spectres et Spéculations, la photographe, critique et autrice sonde « le mystique de ce territoire » pour y capturer des scènes d’existence sibyllines, empreintes de beauté. « Mon approche est essentiellement intuitive. Elle se forme dans mon intériorité et justifie mes errances. Je me laisse guider par mes réactions naturelles à la poétique des présences humaines, des formes, de l’architecture, qui définissent ensuite les projets que je conçois. Mes modèles sont généralement des personnes noires. Il existe donc une tension qui naît de la confrontation entre ma vision et ma connaissance de la place complexe du sujet Noir dans l’histoire de la photographie. Je me sers de cette tension pour embrasser les limites de mes gestes et interroger la nature de mon propre regard », conclut-elle.
Emmanuelle Firman
ROOM5 témoigne de la rencontre d’une photographe avec une structure imaginée au siècle dernier par Armand Pellier : l’hôtel Les Cabanettes, situé au cœur de la Camargue. « Quand j’ai découvert le lieu, j’ai été happée et portée par une urgence de le capturer, de rendre visible l’invisible. Il nous offre non seulement sa beauté, mais il nous invite également à un parcours initiatique vers l’indicible. Guidée par l’âme et la lumière de l’architecte, j’ai passé trois jours à saisir l’impalpable. Je respirais à peine de peur de rater quelque chose », explique Emmanuelle Firman. En résulte alors un dialogue entre les disciplines, en 30 clichés, qui cristallise « une forme de “transe” photographique ». D’un œil singulier, l’artiste lyonnaise se laisse porter par ses émotions et donne corps à un espace qui a été façonné à la manière d’une œuvre d’art, avec lequel elle entre en résonance. « Quiconque y séjourne en repart un peu différent, assure-t-elle. En effectuant des recherches, j’ai appris qu’Armand Pellier croyait que derrière nos vies d’apparences se cachent des réalités. Il voulait découvrir les secrets des formes visibles, tel un chercheur inépuisable. » S’affranchissant de la technique, elle s’imprègne ainsi de l’essence d’un moment.