Sébastien François et Matthieu Baranger, nos coups de cœur de la semaine, ont fait de l’architecture urbaine la muse de leurs projets respectifs. Le premier s’intéresse aux constructions figées de la ville de Lodz, en Pologne, quand le second cherche les traces du temps dans différents bâtiments chargés d’histoire.
Sébastien François
Des immeubles aux contours rectilignes se dessinent dans la pénombre. L’atmosphère n’est guère rassurante. Un brouillard flou semble se répandre sur la ville. Les routes se révèlent distordues, les bâtiments se dédoublent dans des nuances de bleus et de verts froids. Parfois, de grands arbres surgissent telles des ombres dans des ciels sanguins. Ces tirages expérimentaux, signés Sébastien François, dépeignent Lodz, qui prête d’ailleurs son nom à la série. « C’est la ville d’origine de ma mère, indique l’auteur. La moitié de ma famille y est toujours. J’ai eu l’habitude d’y passer mes étés. Ayant grandi en Belgique, ça m’a permis de voir autre chose que mon petit village. Surtout que la Pologne d’il y a quinze ans était bien différente d’aujourd’hui. » À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, le pays a délaissé la région au profit des territoires détruits, qu’il fallait reconstruire. Celle-ci s’est alors figée dans le temps et a conservé une architecture qui se présente, pour le photographe, comme un terrain de jeu tout trouvé. « Le rapport à la matière est très présent dans mon travail. J’essaye d’incorporer des objets qui croisent mon regard. Il n’y a rien de plus amusant que de se perdre dans la composition, de ne pas être limité à un procédé très protocolaire, d’où le fait que j’aime tordre les images, les décaler, les colorer. Esthétiquement, ça me plaît et je prends du plaisir à me réapproprier le cadre, en quelque sorte. J’essaye d’y mettre ma personnalité au maximum », explique-t-il.
Matthieu Baranger
« Mon travail, majoritairement argentique, s’articule autour de la mémoire et de l’intime, dans des environnements souvent simples, mais chargés d’histoire. J’aime explorer les rapports entre le passé et le présent, entre ce qui persiste et ce qui s’efface », commence Matthieu Baranger. Tout naturellement, sa série Écho du passé s’inscrit donc dans ce sillage. Sur les clichés, des bâtiments se devinent dans des monochromes grenus, marqués par le contraste. Ensemble, ils racontent un monde évanescent, voué à sombrer dans l’oubli. « L’idée m’est venue presque par accident, d’une envie de revisiter des espaces empreints d’une mémoire forte, confie l’artiste. En Bulgarie, j’ai trouvé un vieil appareil photo et, comme à mon habitude, j’ai mis une pellicule dedans. Ce geste spontané a déclenché le projet. Je cherchais à retrouver une imagerie historique et une lumière propre à ces lieux. En développant les images, ce qui m’a frappé, c’est cette esthétique singulière : une fusion entre les sujets et le ciel, une impression d’effacement. À partir de là, une vision cohérente a émergé. » Malgré la sensation d’immobilité qui caractérise ces structures, ces dernières subissent les affres du temps. Avec leurs aléas techniques, les boîtiers utilisés ici cristallisent la fragilité du présent et permettent ainsi de constituer, selon les mots de l’auteur, « des archives vivantes » qui rendent compte de cette réalité de manière expérimentale.