Clarice Sequeira et Maurizio Orlando, nos coups de cœur de la semaine, proposent un regard intime sur soi et sur l’autre. La première travaille et bouleverse notre rapport au corps dans une démarche expérimentale tandis que le second, à travers une approche documentaire, nous livre l’histoire d’un homme dont la solitude nous pousse à interroger la relation que l’on entretient avec la nôtre.
Clarice Sequeira
« Créer, pour moi, [c’est] poser un cadre dans le chaos. Et parfois, c’est simplement respirer. » Pour Clarice Sequeira, artiste originaire du nord du Brésil, la photographie est un besoin vital, une manière de s’inscrire dans le réel selon ses propres termes et de l’interroger. L’expérimentation, au cœur de son travail, lui permet de manipuler ce dernier et de s’en éloigner au profit d’une représentation subjective. Adepte des procédés anciens, la photographe a développé une technique lui tenant particulièrement à cœur : le tirage sur soie, ou autres tissus tels que le coton. « Ce support vivant, mouvant, donne à l’image une dimension presque organique », explique-t-elle. Ses œuvres deviennent dès lors tangibles, palpables, à l’instar de la thématique au centre de ses recherches : le corps. Un plan resserré en noir et blanc d’un buste, le début d’un bassin, un dos dans lequel des doigts s’enfoncent émergent sur la surface du tissu, emprisonnés par la découpe photographique. D’autres se dégagent d’une toile de fond brune, donnant l’impression, grâce au mouvement créé par une longue exposition, de se débattre afin d’en émerger. Certaines de ces photographies sont des autoportraits, leur autrice cherchant à travers eux à réparer le rapport qu’elle entretient à son corps, relation entachée par le regard et les codes sexistes qui lui sont imposés. « Au Brésil, la vision du corps – en particulier féminin – est très codifiée, presque oppressive. Il y a une pression permanente à être mince, musclée, parfaite. Travailler le corps m’aide à [me réconcilier] [avec] le mien, à déconstruire ces diktats », déclare l’artiste. Le médium photographique se présente dans son travail comme un outil de réappropriation, mais également de déconstruction, comme lorsqu’elle brûle des négatifs et y incorpore ses cheveux et son sang pour sa série Polymorphies. Par ce geste, elle propose la destruction de la conception sociétale de l’identité féminine, et, à travers ces formes abstraites aux mille couleurs, de lui rendre sa liberté et ses possibles.
Maurizio Orlando
Le photographe italo-belge Maurizio Orlando s’intéresse aussi bien aux grandes qu’aux petites histoires. Couvrant pour des médias français la situation en Ukraine comme capturant les manifestations de 2023 dans l’Hexagone, il se penche en parallèle de son travail journalistique sur des récits individuels, plus personnels, comme celui de Daniel. Maurizio Orlando rencontre ce dernier pendant la crise du Covid-19, alors qu’il visite la chapelle Notre-Dame-de-Lourdes à Montréal, où il est installé pour ses études. Concierge du lieu depuis 27 ans, Daniel a côtoyé la solitude bien avant l’advenue du confinement. Auparavant toxicomane et alcoolique, mis en marge de la société, la foi lui a porté secours. De cette rencontre insolite naît une série témoignant de l’approche documentaire intime et « lente » du photographe, selon son expression. Celui-ci souhaite prendre le temps de découvrir en profondeur le sujet dont il fait le portrait, de créer avec le protagoniste une véritable connexion, de s’imprégner de son mode de vie. Les images surviennent ensuite naturellement, de façon presque instinctive.
La série Daniel nous transporte alternativement dans le lieu de travail du gardien et son cadre de vie, qui finissent tous deux par se confondre. On le découvre passant le balai, nettoyant les bancs de la chapelle, mais aussi se rasant ou mangeant sa pizza du soir. Sous le regard délicat de Maurizio Orlando, Daniel nous apparaît au travers de clichés dont on semble entendre le silence. S’inspirant de l’utilisation de la lumière du photographe Christopher Anderson ou encore des palettes monochromatiques du directeur de la photographie Hoyte Van Hoytema, Maurizio Orlando construit ses images de façon à créer une émotion, à tisser un lien entre celle ou celui qui observe et celle ou celui observé·e. Dans son travail ici présenté, la faible luminosité et la teinte bleutée parcourant l’ensemble des photographies renforcent la sensation de calme qui s’en dégage, le·a spectateur·ice partageant avec Daniel le repos qu’il est parvenu à trouver, mais aussi peut-être sa mélancolie.