Les fonds photographiques d’Agnès Varda, Jean-Louis Schoellkopf et Bettina Rheims rejoignent l’Institut pour la photographie

16 juin 2021   •  
Écrit par Finley Cutts
Les fonds photographiques d'Agnès Varda, Jean-Louis Schoellkopf et Bettina Rheims rejoignent l'Institut pour la photographie

Aujourd’hui, l’Institut pour la photographie de Lille accueille les fonds photographiques de Bettina Rheims, de Jean-Louis Schoellkopf et d’Agnès Varda – trois figures illustres aux œuvres encore trop incomprises. Elle reçoit également une donation d’environ 25 000 ouvrages photographiques faisant de l’association, l’une des dix références mondiales de l’édition photographique. Rencontre avec Anne Lacoste, directrice de l’Institut, et son président Marin Karmitz, fondateur de la société MK2 et trésorier des Rencontres d’Arles.

Fisheye : Vous êtes tous les deux dévoués au monde de l’image. Comment avez-vous commencé à  travailler ensemble ?

Anne Lacoste : Marin Karmitz est très connu ! Fondateur de la société MK2, il est aussi collectionneur de photographies. Il avait fait cette belle exposition à La Maison Rouge avec une scénographie remarquable que tout le monde avait appréciée. Il avait déjà des fonctions dans le milieu de la photographie puisqu’il est trésorier des Rencontres d’Arles. Le projet de l’Institut a été initié par la région Hauts-de-France, en lien avec Sam Stourdzé lorsqu’il était directeur des Rencontres. Moi, j’ai rejoint le projet dans le cadre de sa préfiguration en septembre 2017, et la première question qui s’est posée était la structuration. Nous sommes partis sur la création d’une association, et qui dit association, dit recherche de membres ! C’est un projet ambitieux qui partait de rien – tout était à écrire. Nous avons demandé à Marin Karmitz pour qu’il nous accompagne en tant que président. 

Anne Lacoste, vous avez quitté vos fonctions de conservatrice au Musée de l’Élysée de Lausanne pour prendre en charge la mission de préfiguration de l’Institut. Quels sont vos objectifs et celui de l’Institut ?

Anne Lacoste : Dans une carrière, c’est une opportunité exceptionnelle de pouvoir réfléchir à un nouvel équipement pour la photographie, de concevoir un programme scientifique, et d’avoir des ambitions pour la photographie et le patrimoine. Et puis, surtout, de pouvoir toucher le plus largement possible le public.

Marin Karmitz, que signifie pour vous de présider une telle institution avec de telles ambitions ?

Marin Karmitz : Ce n’est pas la première institution que je préside. J’ai exercé cette fonction pour le compte des pouvoirs publics et pour l’État. Mais dans ce cas, la demande de Sam Stourdzé m’a touché pour deux raisons.

D’abord la photo, le contenu, d’autant que j’avais fait à Arles une présentation de ma collection. J’ai une grande tendresse pour Arles puisque le festival m’a permis de me découvrir moi-même. Cette première exposition était une sorte de psychanalyse. C’était en 2010. Dans cette proposition, il y avait quelque chose de très important : la mise en valeur et le respect du passé. Mais d’un certain type de respect – car le respect du passé pour le passé, ça ne m’intéresse pas. Je pense que c’est même une manière réactionnaire de voir le monde. Mais là, c’était une façon très dynamique de protéger les travaux d’artistes, les créations, pour leur permettre de continuer à vivre dans le présent, et nous permettre de penser l’avenir à travers le décryptage des images. C’est tout un travail qui reste à faire, et qui est insuffisant aujourd’hui. Surtout pour les professeurs, l’enseignement et le décryptage, pour qu’ils puissent à leur tour enseigner les élèves. Cette dynamique-là m’intéressait énormément.

Il y a aussi une deuxième raison : je pense que la France représente le mieux l’amour de la photographie. En témoigne Arles, les institutions parisiennes bien sûr, et maintenant Lille. Pour qu’on puisse matérialiser et renforcer un lien qui existe déjà entre Arles et Lille. Les Rencontres d’Arles est un festival – le Cannes de la photo – avec une réputation mondiale. Paris, c’est le marché de la photo avec Paris Photo, avec de très belles institutions muséales ou privées, ainsi que de nombreuses galeries (Jeu de Paume, MEP, Pineau…). Enfin Lille, et la région du Nord, est au cœur d’un réseau européen, pour essayer de faire en sorte que la photo soit, grâce à la France, au centre de l’Europe, et même du monde. C’est une façon de penser l’histoire de la photographie dans son avenir sous toutes ses formes.

© Jean-Louis Schoellkopf

L’usine Audresset, 2021 © Jean-Louis Schoellkopf

Vous annoncez aujourd’hui accueillir les fonds photographiques de Bettina Rheims, Jean-Louis Schoellkopf et Agnès Varda. Pourquoi ces trois artistes en particulier ?

Anne Lacoste : Pourquoi attendre d’en avoir trois pour l’annoncer et pas un seul ? C’est la direction qu’on a choisi de prendre dès le départ. On veut montrer cette ouverture par rapport à la photographie, dans ses usages et ses formes. Il nous semblait donc plus pertinent d’en avoir trois qui montraient bien l’ouverture de l’Institut, plutôt que d’en avoir un ou deux qui auraient pu catégoriser nos ambitions de départs. Avec ces acquisitions, on couvre la mode, le portrait, le studio, le documentaire engagé avec différents sujets et approches photographiques.

Dans un entretien dirigé par Benoît Baume, directeur de Fisheye, en 2018, vous aviez dit : « Comme dans le cinéma, je me pose à chaque fois la question de ce que l’auteur apporte à l’édifice. J’ai besoin d’aimer pour acheter. Sinon on collectionne pour de mauvaises raisons ». Alors dans ce cas, quelles sont les bonnes raisons ?

Marin Karmitz : Ce n’est pas un choix personnel. Il s’agit d’un choix de mémoire, d’un besoin institutionnel : préserver un certain nombre de travaux, pour qu’ils ne quittent pas la France. Actuellement, les archives et les fonds sont très demandées partout dans le monde. On ne regardait pas beaucoup la photo il y a quelques années, maintenant oui. Nous avons la chance d’avoir des personnes, des ayants droit ou des artistes, qui disent : « On veut rester en France. On ne se vend pas ! ». Il faut simplement pouvoir les accueillir, dans un espace qui correspond à leurs besoins. Ce sont des artistes qui ont chacun, de leur manière, apporté quelque chose dans leur domaine de prédilection. Et ils ne sont pas toujours reconnus pour les bonnes raisons. Quand j’ai découvert le fond d’Agnès Varda, que je connais bien parce que j’étais son assistant pour Cléo de 5 à 7, je ne connaissais pas ses photos ! J’ai découvert des choses incroyables. Il y a un travail réel, et historique, qu’Anne Lacoste et son équipe entreprend et j’en suis très heureux. C’est une façon pour moi de remercier Agnès Varda pour tout ce qu’elle a apporté. J’étais son élève, elle m’a appris beaucoup de choses au cinéma. Et elle a apporté au 8e art les mêmes choses qu’au 7e art.

En ce qui concerne Bettina Rheims, comme les autres femmes photographes, elle n’a pas eu la vie facile !

© Bettina Rheims© Bettina Rheims

Modern Lovers, à g. “Sean I”, 1990 ; à d. Kate, 1989 © Bettina Rheims

Oui car l’ajout des fonds de Bettina Rheims et Agnès Varda apparaît aussi comme une reconnaissance des femmes dans l’histoire de la photographie…

Anne Lacoste : On cherche surtout la parité. C’est une question d’échange. Il s’agit de répondre à des besoins plus généraux. Effectivement, il y a peut-être plus de choses dans l’histoire de la photographie à revoir pour les femmes, que pour les hommes. Mais dans ce cas, ce sont surtout des fonds qui méritent d’être étudiés. Par exemple, Bettina Rheims n’a jamais fait l’objet d’une étude scientifique. Elle est extrêmement connue, mais il y a tout un travail qui n’a pas été réalisé sur son œuvre. Même chose pour Jean-Louis Schoellkopf qui a connu son heure de gloire dans les années 1980-1990, et a disparu, alors qu’il y a un corpus extrêmement intéressant et pertinent, surtout par rapport à ce que l’on vit actuellement. Enfin, concernant la photographie d’Agnès Varda, on est sur un fond qui est inconnu – ce qui est absolument merveilleux.

C’est aussi une immense documentation des années 1940 à nos jours qui vient compléter votre archive. En quoi ces trois auteurs majeurs – malgré la diversité de leurs regards – viendront renforcer notre regard critique sur l’histoire de la photographie ?

Anne Lacoste : Oui, c’est une prise de partie dès le départ. Il n’y a pas d’orientation unique dans la direction artistique. C’est pour cela qu’on a choisi le nom Institut pour la photographie. On veut vraiment rendre compte de cette richesse – qui est aussi une complexité – qui nous semble d’autant plus pertinente aujourd’hui par rapport à la place que la photographie a prise dans notre société. 

Anne Lacoste, vous dites que cet ajout permettra « d’explorer le passé, appréhender le présent et se projeter dans l’avenir », c’est une question de patrimoine aussi ?

Anne Lacoste : Effectivement, mais aussi qu’est-ce qu’on en fait ? Comment on vit avec ? Aujourd’hui les photos sont partout, mais on ne peut pas dire qu’on ait amélioré notre lecture de l’image, au contraire. Le défi est alors de savoir comment on construit tout ça en parallèle.

© Agnès Varda© Agnès Varda

à g. Autoportrait morcelé, 2008 ; à d. Chine, enfants masqués © Agnès Varda

La problématique nous est chère aussi à Fisheye : éduquer à la lecture de l’image, au regard et à l’analyse – des plus jeunes aux plus vieux…

Anne Lacoste : On est bien conscient que dans l’échange, l’image est en train de remplacer le texte. Parfois au détriment d’une bonne interprétation. Il est devenu facile de modifier le sens initial d’une image, on le voit bien sur les réseaux sociaux. Une image peut changer complètement de sens entre le début et la fin de son parcours – s’il y a d’ailleurs une fin… 

En parlant de documentation, votre bibliothèque s’enrichit aussi grandement… 

Anne Lacoste : On reçoit une collection privée, française, de plus de 25 000 ouvrages, qui s’est constituée sur une quarantaine d’années, avec la volonté de continuer à la faire vivre, et de la partager. Cette donation anonyme va s’étaler dans le temps. On a reçu une première donation de 2 000 ouvrages l’année dernière, et la deuxième est en cours cette année.

© Jean-Louis Schoellkopf

Les Latin Kings, 2007-2008 © Jean-Louis Schoellkopf

Et ces ouvrages seront accessibles ?

Anne Lacoste : Oui, l’idée est de les rendre accessibles au public avec une modification de projet architectural pour donner plus de place à la bibliothèque. Il y aura un grand travail de référencement disponible en ligne ainsi qu’une salle de consultation et une bibliothèque gratuite. C’est aussi une formidable ressource pour notre programmation en général, avec une diversité vraiment exceptionnelle. On va toucher des monographies, des catalogues d’exposition, des publications thématiques ou historiques, de la fin du XIXe jusqu’aujourd’hui, puisque ce collectionneur mystérieux continue d’acheter toutes les semaines, dans tous les champs et à l’international.

L’institut pour la photographie deviendra ainsi une des dix références mondiales pour l’édition photographique. Qu’est-ce que cela signifie pour votre institution, pour Lille, les Hauts-de-France et pour la culture en France ?

Anne Lacoste : Ça nous confirme que l’Institut pour la photographie est un lieu de ressources partagées, à disposition du public, à l’échelle nationale et avec une belle surprise, internationale. 

Une exposition à venir ?

Anne Lacoste : On fait une dernière programmation sur le site cet automne, avant sa fermeture pour les travaux. Ce sera l’occasion de rencontrer notre collectionneur anonyme, ainsi que Bettina Rheims, Rosalie Varda et Jean-Louis Schoellkopf. Elle sera notre première exposition d’après ces fonds.

© Agnès Varda© Bettina Rheims

à g. Delphine Seyrig rue Daguerre, 1962 © Agnès Varda ; à d. Animal, 1982 © Bettina Rheims

Image d’ouverture : Chine, enfants masqués © Agnès Varda

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