Dans In the absence of eye, la photographe Sara Punt déconstruit la silhouette humaine pour en faire ressortir sa splendeur. Un éloge graphique et poétique des courbes des corps.
Contrastés par une obscurité intense, les corps capturés par Sara Punt ont des airs de sculptures. Jaillissant du néant, les courbes des seins, des hanches, des fesses, les doigts entrelacés, les lèvres entrouvertes deviennent des esquisses à la sensualité graphique. Une mosaïque minimaliste fragmentant les silhouettes pour faire ressortir leur beauté. C’est durant ses études en stylisme et direction artistique que l’autrice néerlandaise s’est initiée à la photographie. « J’étais surtout douée pour donner vie à mes idées. Si j’ai d’abord travaillé main dans la main avec des photographes, j’ai vite découvert leur côté borné – et je m’inclus dedans également ! – et j’ai réalisé que je m’en sortirai mieux en travaillant seule », s’amuse-t-elle.
Pour la jeune femme, le 8e art est une manière de façonner un monde abstrait, d’explorer les recoins de l’existence sans jamais perdre le réel de vue. « Je me pose toujours la même question : qu’est-ce qu’on voit lorsqu’on ne regarde pas ? Cette interrogation me permet de percevoir le corps dans sa métamorphose perpétuelle. C’est grâce à cela que je peux créer », précise-t-elle. Travaillant dans une pièce complètement noire, l’artiste couvre des parties du corps de ses modèles pour en magnifier d’autres. Dans un jeu de lumière, elle creuse, révèle, découvre des morceaux d’eux pour en faire un tableau poétique. « Je passe beaucoup de temps à discuter avec eux. Puis, comme une sculptrice, je révèle la forme qui me parle le plus, celle dont nous avons pu parler précédemment », explique-t-elle.
L’œuvre d’art que nous sommes
Ancienne danseuse, Sara Punt est particulièrement sensible à la mémoire musculaire, aux traumatismes que nos corps continuent de porter. Une connaissance de sa propre enveloppe charnelle qu’elle s’efforce de souligner à travers son travail. D’une grâce troublante, ses images transcendent notre perception du réel pour accéder au sublime. Dans des tons chauds – un écho possible à la terre, au lien existant entre les êtres – les corps s’éveillent, tout juste tracés, presque surnaturels. « Mes modèles sont méconnaissables. Je déconstruis leur silhouette, pour former un nouveau récit – libéré du poids des insécurités. Dans ce nouvel espace, mon sujet est libre de construire de nouvelles associations, sans se retrouver confronter à ses propres défauts, ses propres traumatismes », confie l’artiste.
À travers la poésie de son œuvre, c’est finalement une invitation à s’observer avec un regard nouveau que propose Sara Punt. Une manière de repenser le familier pour (ré)apprendre à l’aimer. Jouant avec les perspectives, les morphologies, l’autrice entend s’affranchir des standards de beauté pour donner à voir, à leur place, « l’œuvre d’art vivante que nous sommes ». Sans jamais passer par la manipulation numérique pour construire ses « formes », elle s’abandonne dans son exploration de l’autre, repousse les frontières du réalisme et accède aux recoins les plus intimes de l’autre. « Cette espèce de cache-cache avec les corps permet souvent à mes sujets d’oublier qu’ils ou elles sont nu·e·s », ajoute-t-elle. Et de ces échanges profonds, sincères, naissent des sculptures de papier – irréelles, sensuelles.
In the absence of eye, autoédité, 90€, 248 p.
© Sara Punt