L’Amérique inspire aujourd’hui de nombreux photographes. Des paysages de banlieues immobiles aux road-trips folks qui s’achèvent autour d’un feu de camp… Le flot d’images inspiré par le cinéma, la littérature ou la musique nous a habitué à une vision très lisse du continent américain. L’originalité, comme bien souvent, est l’apanage d’une minorité de photographes – dont Matt Hamon fait partie.
Matt aime être dans la nature. Sa pratique photographique est très liée à son espace de vie. C’est aussi un chasseur, une passion qui l’a mené vers ce sujet inhabituel : la chasse au bison. Parce qu’il est nécessaire aujourd’hui de protéger les quelques grands troupeaux qui ont survécu à l’industrialisation, chasser le bison est interdit. Sauf dans quelques états – dont le Montana depuis 2005. L’abattage étant nécessaire pour réguler la taille des troupeaux.
Parmi ces chasseurs se trouve une communauté de puristes, qui œuvre dans le respect de la nature et de l’animal. Matt Hamon les a baptisés The Gleaners, d’après le tableau Des glaneuses du peintre Jean-François Millet. Prises avec un moyen format numérique (un Mamiya 645 DF +), les photos de cette série ont l’intensité et la douceur de l’argentique. La vitesse d’obturation est lente et mesurée. « J’aime réaliser de grands tirages, donc il est important pour moi que mes images aient une grande résolution. La qualité de l’image est primordiale car ainsi les détails ne peuvent échapper aux yeux du spectateur. C’est d’ailleurs pour cela que j’utilise la couleur. Tout ça, c’est un moyen d’ancrer la réalité dans l’image. »
Un poème, qu’il faut interpréter
Un processus qui fait son effet pour The Gleaners. Les images que le photographe a réalisées de cette petite communauté sont très éloignées de l’austère simplicité de l’œuvre de Millet. Elles sont lumineuses, sans être crues. Les chairs et les viscères exposés contrastent avec la douceur des paysages et l’intensité des portraits. Il y a une chaleur très forte dans ce travail. Elle est renforcée par la confiance que Matt a su instaurer avec ses gens qu’il considère comme des marginaux. Pourtant il n’a vécu que dix jours parmi eux. Mais le photographe se définit lui-même comme une sorte de marginal. « Diane Arbus disaient des marginaux qu’ils sont des aristocrates » nous confie le photographe, « j’ai toujours tourné autour des marginaux et ils ont toujours tourné autour de moi. »
Il y a aussi, dans The Gleaners, un profond respect qui se lie dans tous les regards – comme un lien tacite. Ce respect, c’est celui de celles et ceux qui partagent le même territoire, les mêmes racines. « Une photographie nous permet de regarder une personne en profondeur. Elle implique, pour le photographe, une sorte d’intimité seulement possible avec les amis, les proches, ou les amants. Il n’y a pas de vérité dans une image. Mais plutôt un poème, qu’il faut interpréter. »
Originaire du Montana, Matt aspire à documenter ce qui l’entoure.
« Parce que c’est d’abord plus commode. Et puis, je ressens beaucoup d’amour pour les gens et les lieux autour de moi. Je crois qu’il y a à peu près deux approches quand on est artiste : être un marginal curieux, ou avoir un fort sentiment d’appartenance au lieu où l’on vit. Et j’ai le sentiment que ma place est dans le Montana. »
Matt Hamon est un chasseur. D’images aussi bien que de gibier. Un jour qu’il navigue sur le Net à la recherche d’informations sur le dépeçage, il tombe sur un forum dédié aux pratiques traditionnelles. Il découvre ainsi une communauté de marginaux, qui vivent de l’élevage de bisons. Il part à leur rencontre et rapporte cette étonnante série documentaire,
The Gleaners.
Dans cet état rural et très ouvrier, la nature est abondante, les paysages grandioses : à l’est, les Grandes Plaines ; à l’ouest, les Rocheuses. C’est l’état qui compte aussi le plus grand nombre d’écrivains par habitant. La littérature y tient une place importante, incarnée par la fameuse École du Montana, qui invoque le nature writing – où quand les grands espaces sauvages envahissent le récit. Matt Hamon est donc naturellement très influencé par ce contexte culturel. Et de fait, la nature est bien le propos de ce travail. Le mot « glaneur » vient de la terre. Il désigne, en premier lieu, celles et ceux qui arpentaient les champs après les moissonneurs. The Gleaners invoque l’amour du sol, celui sur lequel on naît et celui qui nous fait vivre.
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