Quand on parle de photo, on pense d’abord aux auteur·ices. Mais il y a celles et ceux qui rendent leurs images visibles : les tireur·euses argentiques. Présent·es dans l’ombre, ils et elles façonnent les épreuves que l’on regarde. Au début des années 2000, alors que nombre de labos fermaient, un certain savoir-faire était sur le point de disparaître. Une nouvelle génération, souvent féminine, assure aujourd’hui la transmission. Rencontre avec Agnès Costa et Guillaume Geneste.
Fisheye : Quel a été votre premier contact avec ce métier ?
Agnès Costa : Mon père avait un labo argentique en Corse. Petite, j’étais fascinée par ses archives, mais je trouvais tout cela trop complexe. C’est à Londres, après quelques expériences en noir et blanc, que j’ai découvert le tirage couleur analogique par hasard, lors d’un stage. Quand j’ai vu le laboratoire, c’était une évidence : c’est là que je voulais être. Après cinq ans passés chez Rapid Eye à Londres, j’ai décidé de m’installer à Paris. Ce métier m’a reconnectée à quelque chose de très intime et personnel, lié aux souvenirs de mon enfance.
Guillaume Geneste : J’ai commencé très jeune, initié par un passionné à la Maison des jeunes et de la culture (MJC) d’Asnières. Ce qui me fascinait, c’était cette feuille de papier sur laquelle une image apparaissait. Je voulais comprendre comment ça marchait. J’ai beaucoup appris auprès de Claudine et Jean-Pierre Sudre, connus pour leur exigence et leur approche expérimentale du tirage. Ces rencontres ont marqué ma manière de travailler et ma façon de penser la photographie. Je suis installé à mon compte depuis trente ans.
Selon vous, qu’est-ce qu’un bon tirage ?
G.G. : C’est avant tout voir à travers les yeux du ou de la photographe, comprendre sa vision, et s’effacer derrière son intention. Un bon tirage, c’est aussi celui qui touche, qui provoque une émotion forte quand on le découvre.
A.C. : Je tire uniquement les photos des autres, c’est donc l’auteur·ice de l’image qui décide si c’est bon ou pas. Je suis là pour guider, mais la vision finale reste celle de l’artiste. Un tirage est réussi lorsqu’on sent que l’image vit réellement, qu’elle exprime exactement ce que voulait dire l’auteur·ice.
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Entre interprète et exécutant·e, comment pensez-vous votre rôle ?
A.C. : Cela dépend des photographes. Certain·es savent exactement ce qu’ils·elles veulent, d’autres préfèrent être accompagné·es. Je suis à l’aise avec les deux rôles. Je ressens surtout une grande responsabilité à préserver l’intégrité de leur travail.
G.G. : Nous sommes clairement au service de la création. Je préfère le terme de traducteur·ice : nous accompagnons les artistes sans nous substituer à elles·eux. C’est un équilibre délicat, mais extrêmement valorisant lorsqu’on y parvient.
Quelles évolutions observez-vous dans votre pratique ?
A.C. : Aujourd’hui, il y a un réel retour au tirage analogique, même si certain·es y voient un effet de mode. Je pense au contraire que le besoin d’objets tangibles est réel et durable. Cette matérialité redonne du sens et de la valeur à la photographie.
G.G. : Le numérique et l’argentique se mêlent aujourd’hui naturellement. Pour moi, il est nécessaire de maîtriser les deux, et c’est une richesse immense. Je vois cela comme une évolution naturelle, passionnante et pleine de défis.
Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #71.