Flou : l’unicité du vaporeux

24 janvier 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Flou : l'unicité du vaporeux
© Larissa Hofmann / Flou
© Drew Vickers / Flou

Au fil de Flou, publié l’été dernier chez Note Note Éditions, se découvrent les expérimentations artistiques de vingt photographes. Si l’imprécision ne s’impose pas nécessairement comme leur approche de prédilection, toutes et tous ont en commun de tirer leurs images au sein du laboratoire éponyme d’Agnès Costa, à l’origine de cette réunion. 

Flou fait partie de ces ouvrages nés d’une succession d’évidences. Pour comprendre son histoire, il nous faut revenir sur le parcours d’Agnès Costa, fil conducteur de ce projet. Alors qu’elle étudie le 8e art et se destine de prime abord au métier de photographe, un stage change sa vision des choses. « J’ai découvert un aspect plus technique de l’argentique et ça m’a plu. J’ai travaillé quelques années dans un laboratoire à Londres, puis je suis arrivée à Paris, il y a trois ans, pour me lancer à mon compte et ouvrir Flou », se remémore-t-elle. À l’occasion du premier anniversaire de son entreprise, elle organise un évènement éponyme, dans le souvenir de ceux qu’elle orchestrait parfois outre-Manche. « Souvent, mes photographes qui font des travaux de commande ne s’occupent pas de la sélection finale. C’est pour cela que j’ai voulu monter une exposition où toutes et tous étaient libres de mettre l’image de leur choix », explique-t-elle. 

Mathieu Meyer fut l’un des visiteurs de Flou et donnera une tout autre envergure au projet. Co-fondateur de Note Note Éditions, « la spontanéité autour de cet accrochage “de copains et de copines” » lui plut, si bien qu’il voulut retranscrire cette énergie dans un ouvrage. « Il trouvait cela intéressant de capturer un moment, un échantillon de ce qui se fait maintenant. Cela m’a convaincue », appuie Agnès Costa. C’est alors que commence une vaste collaboration à laquelle prennent part Jean-Marie Binet, Jeff Boudreau, Louis Canadas, Thomas Cristiani, Théo de Gueltzl, Vincent Desailly, Estelle Hanania, Larissa Hofmann, Maxime Imbert, Maxime La, Chloé Le Drezen, David Luraschi, Hugo Mapelli, Charles Negre, Marton Perlaki, Noel Quintela, Sam Rock, Jack Symes, Drew Vickers et Myro Wulff. « Même s’il y mon nom sur la couverture, ce n’est pas mon livre. Ce sont les images de vingt photographes que je connaissais, Mathieu s’est occupé de la direction artistique, Dan [Thawley] du texte… C’est comme une chaîne de personnes de spécialités différentes. Tout le monde a mis sa pierre à l’édifice. Finalement, c’est assez représentatif de ma démarche », poursuit-elle. 

© Estelle Hanania / Flou
© Louis Canadas / Flou
Note Note Éditions
60 pages
30 €

Une célébration de la pratique argentique

S’il donne à voir comment la scène photographique contemporaine s’empare d’une certaine thématique, Flou s’impose tout autant comme un travail de recherche plastique. À l’instar de ce qu’il définit, le terme renvoie, de fait, à une indétermination que tout un chacun est libre de caractériser à sa manière. « Je savais que les pratiques respectives de ces artistes, si différentes les unes des autres, réunies dans un même contexte, donneraient lieu à de belles “confrontations”, assure Mathieu Meyer. La plus grande difficulté a été de combiner tous ces tirages. Toutes et tous ont joué le jeu en envoyant plusieurs images, que nous avons pu associer avec ce texte qui a servi de liant. Cette disparité de sujets, de traitements crée une unicité. » Au fil des pages se révèlent alors plusieurs procédés, parfois involontaires. Parmi eux se comptent notamment des accidents au développement, des négatifs malmenés ou ayant pris l’eau ou encore des accumulations d’expositions.

Outre les œuvres, la maquette a également été pensée de telle sorte à répondre à la thématique. « Je me suis permis de questionner la nomenclature titre, faux-titre, préface, images, colophon pour recréer la même surprise que lorsque l’on ouvre une boîte de tirages. La reliure reprend d’ailleurs le ruban adhésif sur lequel Agnès écrit le nom des artistes. Tirer le texte en chambre noire lui donne le même statut que les photographies », étaye Mathieu Meyer, pour qui l’engouement renaissant pour cette imprécision traduit « un retour à du vrai, du tangible, comme acheter des vinyles a l’air du streaming ». Par ses motifs abstraits, purement esthétiques, qui font la part belle aux couleurs et à la lumière, le flou se présente ainsi comme une célébration de la pratique argentique. « Maîtrisé, il aide à raconter une histoire, un point de vue au travers d’une image. S’il ne l’est pas, il n’y a ni image ni histoire », achève à juste titre Mathieu Meyer.

© Charles Negre / Flou
© Maxime La / Flou
© Marton Perlaki / Flou
© Maxime Imbert / Flou
© Noel Quintela / Flou
© Myro Wulff / Flou
À lire aussi
Les baignades vaporeuses de Benjamin Cremel 
© Benjamin Cremel
Les baignades vaporeuses de Benjamin Cremel 
Les éclats de rire, l’eau qui éclabousse les passant·es, les courses effrénées aux abords du bassin, les éternels concours de brasse, le…
05 janvier 2024   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Solitude floue : les paradoxes nébuleux d'Aleksandr Babarikin
Solitude floue : les paradoxes nébuleux d’Aleksandr Babarikin
Visages déformés, silhouettes sibyllines, contrées oniriques ou villes nébuleuses… Le photographe biélorusse Alexander Babarikin compose…
02 février 2022   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Explorez
La sélection Instagram #514 : images indociles
© séquoia photos / Instagram
La sélection Instagram #514 : images indociles
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine incarnent, chacun·e à leur manière, le thème de la 56e édition des célèbres...
08 juillet 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Yves Saint Laurent : une histoire en miroir de la photographie et la mode
Polaroïd pris par le personnel de la maison de couture, cabines du 5, avenue Marceau, Paris. Robe de mariée portée par Laetitia Casta, collection haute couture printemps-été 2000, janvier 2000. © Yves Saint Laurent © Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent
Yves Saint Laurent : une histoire en miroir de la photographie et la mode
Cet été, parmi les accrochages à retrouver aux Rencontres d’Arles se compte Yves Saint Laurent et la photographie, visible à la Mécanique...
07 juillet 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Wolfgang Tillmans revient sur sa carte blanche au Centre Pompidou
Wolfgang Tillmans à la Bpi, janvier 2025 © Centre Pompidou
Wolfgang Tillmans revient sur sa carte blanche au Centre Pompidou
Le Centre Pompidou lui donne carte blanche jusqu’au 22 septembre 2025, dernier accrochage avant la fermeture du bâtiment pour cinq ans de...
03 juillet 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Marco Dos Santos fait feu de tout bois
© Marco Dos Santos
Marco Dos Santos fait feu de tout bois
Mais peut-il seulement tenir en place ? Depuis plus de vingt ans, Marco Dos Santos trace une trajectoire indocile à travers les scènes...
02 juillet 2025   •  
Écrit par Milena III
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Camille Lévêque décortique la figure du père
© Camille Lévêque. Glitch, 2014. Avec l’aimable autorisation de l’artiste
Camille Lévêque décortique la figure du père
Dans À la recherche du père, Camille Lévêque rend compte de questionnements qui l’ont traversée pendant de longues années....
Il y a 2 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Le Brésil au grand angle
De la série Rua Direita, São Paulo, SP, vers 1970. © Claudia Andujar. Avec l’aimable autorisation de l’artiste / Instituto Moreira Salles.
Le Brésil au grand angle
Climat et transition écologique, diversité des sociétés, démocratie et mondialisation équitable… tels sont les trois thèmes de la saison...
Il y a 7 heures   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Pour ses vingt ans, MYOP rend hommage au passé pour mieux se tourner vers l’avenir
Militaires russes en visite sur le site de Chersonèse, Ukraine, 2005 © Julien Daniel / MYOP
Pour ses vingt ans, MYOP rend hommage au passé pour mieux se tourner vers l’avenir
Cette année, MYOP fête ses vingt ans. À cette occasion et dans le cadre des Rencontres d’Arles, les photographes de l’agence...
09 juillet 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Kikuji Kawada : la carte infinie d'un Japon en mutation
Endless Map © Kikuji Kawada, Courtesy PGI
Kikuji Kawada : la carte infinie d’un Japon en mutation
Jusqu’au 5 octobre 2025, à l’occasion des Rencontres de la photographie d’Arles, Kikuji Kawada investit l’espace Vague pour une...
09 juillet 2025   •  
Écrit par Marie Baranger