Il faut les voir, les minots, appareils photo à la main, tout sourire, débarquant au pied de la Cité radieuse. Ils s’appellent Ryad, Nani, Rayan, Oussam, Alfa et Nabil, ils ont entre 12 et 16 ans. Tous habitent La Castellane, dans les quartiers Nord de Marseille. Aujourd’hui, les apprentis photographes ont pour terrain de jeu la célèbre « Maison du fada », dessinée par le célèbre Le Corbusier, dans le 8e arrondissement. Ils sont accompagnés de Teddy Seguin, photographe, et de Naba, animateur du centre social.
Au-delà de ses activités professionnelles – pour la presse et pour une équipe d’archéologie sous-marine –, Teddy Seguin mène un projet baptisé Insulae depuis près de cinq ans. Le photographe retrouve en effet plusieurs caractères propres à l’isolement des îles sur des lieux non entourés d’eau. Comme pour la cité de la Castellane, « une véritable forteresse, on est dans le parfait exemple du territoire isolé en milieu urbain », explique-t-il. Une forteresse dans laquelle on ne pénètre pas si facilement, surtout avec un appareil photo. À l’époque, Teddy a alors pris contact avec le centre social du quartier, qui, toujours à la recherche de nouveaux projets culturels au sein de la cité, lui a demandé d’animer des ateliers.
Les quatre saisons
Malgré une « absence totale de fibre pédagogique », de son propre aveu, le photographe a accepté. En septembre 2014, il a commencé à enseigner les bases de la prise de vue à une petite dizaine d’ados. Ensemble, ils ont élaboré le projet « Les quatre saisons de la Castellane », destiné à couvrir le quotidien de la cité tout au long de 2015, et qui a donné lieu à cinq expositions. Aux rendez-vous du mercredi se sont ajoutées des semaines de stage durant les vacances scolaires, l’occasion pour Teddy d’étendre les champs d’investigation des jeunes photographes.
À la Cité radieuse, les minots sont en pleine forme. Ils se marrent, le long des couloirs colorés, se penchent, se courbent, se perchent pour prendre des photos. Ils se font remettre en place par Naba quand ils s’éloignent de leur zone d’exploration. L’idée est de réaliser des reportages à l’extérieur de la cité et de publier deux ou trois magazines pour les habitants de leur quartier. Teddy les guide, mais les laisse très libres dans leur approche de la photo : « Je n’essaie pas de leur transmettre la technique ; plutôt des notions de cadrage, de lumière, de composition. » Prises de vue donc, mais aussi interview des habitants afin d’analyser les points communs entre les deux cités : celle des beaux quartiers et celle des oubliés. Pour poser des questions, les ados se font plus timides : « J’ai pas d’idée », lâche Rayan. Teddy lui donne des pistes et l’accompagne interroger une femme qui prend le soleil sur le toit-terrasse de l’immeuble.
Ouverture
Le vent souffle fort au sommet de la « Maison du fada », et la vue à 360 degrés est l’une des plus belles de Marseille. On aperçoit les barres de la Castellane, au nord, à la périphérie de la ville. Naba a 24 ans, autant d’années passées dans sa cité et c’est une première visite pour lui aussi. Pourquoi a-t-il attendu si longtemps ? « Si personne ne te dit de venir, pourquoi tu le ferais ? » répond-il. C’est important de sortir de la cité, mais aussi de ramener un témoignage de ce qu’ils y ont vu pour les habitants de la Castellane. Une ouverture qui pourrait sembler dérisoire, mais qui apporte plus qu’il n’y paraît en recréant un lien social rompu par des années de politique inégalitaire…