Les nouveaux collectionneurs

13 novembre 2015   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Les nouveaux collectionneurs
Âge, budget, préférences, habitudes, motivations, degré d’implication… Qui sont les acheteurs de photo constituant la nouvelle vague de la collection ? Radiographie d’une génération décomplexée qui s’expose en toute liberté.

Un vieil homme riche à la mine aigrie au fond d’une salle des ventes poussiéreuse qui surenchérit au rythme des coups de marteau du commissaire-priseur. Vous avez dit « cliché » ? Cette image du collectionneur d’art des années 1980 ne semble plus vraiment adaptée. Alors que partout émerge une nouvelle génération de photographes, il paraît légitime de se poser la question de savoir s’il en est de même des collectionneurs.

Un accès à l’art plus convivial

Première piste, un article publié en septembre par l’Art Media Agency (Ama), une agence de presse internationale spécialisée dans le marché de l’art. Elle y définit les jeunes collectionneurs comme « une espèce en voie d’émergence », prête à être courtisée par ceux qui auraient compris ses attente : accéder facilement à l’art de manière plus conviviale. Pour illustrer son propos, l’agence cite le musée Guggenheim de New York qui a lancé la Young Collectors Party afin de séduire une jeunesse dorée assoiffée de culture… et de mondanités. Il s’agit d’une fête organisée par le Young Collectors Council, le club d’art contemporain du musée. Lors de cette soirée, les membres se retrouvent autour d’une coupe de champagne, déambulent au milieu des œuvres tout en écoutant le remix du dernier DJ à la mode. Depuis, l’idée s’est exportée.

Philippe Lamy, 44 ans, ancien banquier frustré par l’accueil glacial des galeries et les files d’attente à l’entrée des musées, crée en 2013 le Barter Paris Art Club. Conçu comme une conciergerie d’art, Barter veut désacraliser l’univers des galeries. Car, avouons-le, pour un novice, entrer et se renseigner sur les tarifs est intimidant. Un avis que partage Philippe : « Être seul pour acheter, c’est compliqué. Souvent les prix ne sont pas indiqués, ce qui freine la vente. » C’est là que Barter entre en jeu. Le club sélectionne les meilleures expositions parisiennes pour ses membres. Chaque mois (moyennant un abonnement de 300 euros par an minimum), ces derniers sont invités à participer, en comité restreint, à des parcours privés conduits par un expert. Galeries, salles des ventes, foires, soirées en compagnie des artistes… Non seulement les tarifs des œuvres sont affichés, mais ils ont aussi été négociés avec 10 à 30 % de réduction.

Franchir un cap

Deux ans après le lancement de Barter, le bilan est positif. « Nous comptons 250 membres, dont 15 à 20 nouvelles inscriptions chaque mois. Et surtout, 75 % de renouvellements d’adhésion », se réjouit Philippe. Pour lui, trois catégories de collectionneurs se dessinent : « Ceux qui le sont déjà et attendent d’être surpris, ceux qui achètent leur première pièce, et enfin ceux qui veulent juste profiter des expositions, mais qui achèteront peut-être plus tard. » Côté tranche d’âge, pas de surprise. Selon lui, les moins de 35 ans achètent peu par manque de moyens, tandis que les jeunes retraités s’y mettent. La majorité des acheteurs, quant à eux, ont entre 35 et 55 ans. Ce qui colle avec les résultats de l’Art Collector Report 2014 édité par Larry’s List, une société qui vend depuis 2013 des données détaillées sur les collectionneurs d’art. Le rapport avance que les collectionneurs ne seraient que 10 % dans le monde à avoir moins de 40 ans. Voilà qui soulève un point crucial : « jeune collectionneur » ne signifie pas forcément jeune au sens de l’âge, mais plutôt au sens de débutant.

Et la photographie est un excellent point de départ d’une collection, nous explique Philippe, car plus accessible que d’autres disciplines. « Outre les galeries de renom, nous travaillons aussi avec celles qui exposent des talents émergents, poursuit-il. Les prix vont de 500 à 20 000 euros, avec un cœur de vente entre 1 500 et 5 000 euros. » Bien sûr, il ne s’agit pas pour les adhérents d’acheter une œuvre chaque mois. Même si, comme le confesse le créateur de Barter, « la collection est une passion addictive. »

© Natasha Caruana
Natasha Caruana, Et je l’ai vue, Résidence BMW 2014, © Natasha Caruana

 Avant d’en arriver là, encore faut-il franchir le cap. Qu’est-ce qui motive le passage à l’acte ? Simple question de goût, prestige d’un photographe ou spéculation ? « Un coup de cœur », répondent la plupart des collectionneurs. À l’instar de Marc Susini, avocat parisien de 50 ans : « Je n’achète pas pour investir, mais pour profiter des œuvres que j’accroche chez moi. » L’an dernier, Marc a réalisé son premier achat en tant que membre de Barter. Un tirage numéroté issu de la série Urban Wallpapers, de Bruno Fontana, pour 1 700 euros. Février 2015, rebelote : Marc craque pour un autoportrait du Chinois Liu Bolin. Coût de la transaction : 12 000 euros. « OK, là c’était cher. Mais quand Philippe Lamy m’a confié qu’il était possible d’acheter cette photo par le biais d’un courtier, je me suis lancé », se justifie-t-il.

Autre exemple, celui de Foulques de Rostolan, lui aussi membre de Barter. Cet avocat (encore un) de 39 ans l’avoue, il n’y connaît rien à l’art et se désintéresse de la cote des artistes qu’il achète. Comme lorsqu’il raconte avoir acquis la photo d’un paysage brumeux de montagne dont le nom de l’auteur ne lui revient pas. Le prix, en revanche, il s’en rappelle : 1 800 euros. Un montant correct pour cet homme qui s’est fixé un budget de 5 000 euros à ne pas dépasser.

Vue generale de l'interieur du Grand Palais, Nov 11, 2015 © Marc Domage / Paris Photo
Vue generale de l’interieur du Grand Palais, Nov 11, 2015 © Marc Domage / Paris Photo

Le rôle des foires

Pour Philippe C., le discours est à peu près identique, mais le profil diamétralement opposé. Lui n’est pas membre de Barter. Pas besoin. Ce chef de projet de 30 ans est un boulimique d’art. Il ne rate pas la moindre exposition du Bal, de la MEP ou du Jeu de Paume. Il suit l’actualité photo de près, entre facilement dans les galeries et se rend parfois en salle des ventes chez Christie’s et Sotheby’s – qu’il trouve trop élitistes. C’est par le biais des foires (Slick Art Fair, Fiac…) qu’il a commencé, il y a trois ans, à faire ses premières acquisitions. Son but ? Trouver de quoi couvrir les murs de son trois-pièces flambant neuf en région parisienne. Chez YellowKorner, il s’offre des œuvres de Laurent Dequick éditées à 200 exemplaires, pour un peu moins de 500 euros. Puis, en février 2014, il tombe sur une photo de Corinne Vionnet à la galerie Binôme, à Paris, et se laisse tenter. Cette image, éditée à huit exemplaires, s’affiche à 1 000 euros. Enfin, à 1 400 euros, le chef de projet craque pour une pièce unique de la série Résurgence, signée Mustapha Azeroual, étoile montante de la photographie contemporaine. Une autre pièce de l’artiste lui fait de l’œil, mais les 7 000 euros requis le freinent. « Ce n’est pas un prix que je suis prêt à mettre. L’art est un achat plaisir, donc il y a des limites », estime Philippe C., affirmant au passage ne pas acheter dans l’idée de revendre…

… Découvrez la suite de cet article dans le dossier “Collections : portes ouvertes” du dernier numéro !

[Retrouvez notre live de Paris Photo par ICI]

 

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