Le festival de film photographique Les Nuits Photo a eu lieu ces 4 et 5 novembre 2022. Comme à l’accoutumée, l’évènement s’est achevé sur une remise de récompenses dont nous vous dévoilons le palmarès sans plus tarder.
Le week-end dernier, comme chaque année, Les Nuits Photo ont fait la part belle au film photographique, un format d’expression à mi-chemin entre cinéma et photographie traditionnelle. À l’Entrepôt et à la Bibliothèque François Villon, les moments d’échanges et d’ateliers tournés autour de ce médium hybride se sont multipliés. Un ensemble de quatorze projections – dont une soirée dédiée à Focus, notre série immersive qui donne la parole aux auteurs – ont également rythmé les deux jours de festival avant de s’achever sur la remise des Prix Diapéro, La Cassette, du public et le très attendu Prix LNP. Si la manifestation avait pour thème le son, les lauréat·e·s ont, chacun à leur façon, témoigné du temps qui passe, de sa contemplation et de la manière dont il défait ou resserre les liens qui nous unissent à celles et ceux qui nous entourent.
Faire face à notre condition de mortels
« Nous venons au monde en sursis, mais la mort est si terrifiante que nous feignons de l’ignorer. Pourtant, lorsqu’un·e proche s’en va, la gravité de notre condition nous rattrape »
, explique Tao Douay, qui a remporté le Grand Prix LNP pour Chaos. À l’écran, les monochromes représentant des êtres familiers ou inconnus défilent à mesure que des tracés blancs laissent paraître la fin inéluctable. Çà et là, les corps figés par l’image se parent de masques mortuaires, donnent à voir les squelettes, les âmes qui s’échappent pour l’incertitude du monde d’après, dont les contours oscillent selon les croyances de chacun. Sujet devenu tabou, la disparition s’inscrit pourtant dans notre quotidien et définit, par opposition, l’existence même. Par ce film photographique, l’auteur nous invite dans la ronde incessante des danses macabres qui, au 15e siècle, alors que les guerres et les vagues successives de famines et d’épidémies ravageaient l’Europe, chantaient le pouvoir égalisateur de la mort.
Dans un autre genre, Lionel Jusseret, mention spéciale du Prix Diapéro, représente le quotidien de personnes âgées vivant en maison de retraite. De son œil sensible, il rend compte de la réalité de leur fin de vie institutionnalisée, souvent relayées à la marge tant elles effraient, rappellent, une fois de plus, notre condition de mortels. Dans Les Impatientes, l’artiste est allé à la rencontre de cette génération silencieuse, tapie dans l’ombre. Entre les portraits tendres et graves sur fond de papiers peints fleuris, des mains marquées par le temps et les souvenirs de l’existence s’interposent. L’interstice créé laisse alors place à une terrible question, qui reste en suspens : « Pourquoi nos pays dits développés ne sont-ils plus capables de prendre en charge dignement leurs aînés ? »
Chaos © Tao Douay
Des modes de vie alternatifs
Dépeindre les communautés invisibilisées est également au cœur des projets des lauréats des Prix Diapéro et La Cassette. Dans Cape ou pas cape ?, le duo du premier, formé par Julien Athonady et Thibault Le Marec, nous présentent Victor, un adolescent de quinze ans placé en foyer. Sachant pertinemment qu’il sera livré à lui-même dès la majorité atteinte, il dessine des maisons, se lance dans la construction de sa tiny-house et se découvre des pouvoirs surnaturels. Salomé Hévin, grande gagnante du second prix mentionné pour Des Frères, a quant à elle investi un foyer chrétien orthodoxe pour garçons, situé dans l’Oural russe. Là-bas, l’Église a pris le relais d’un État en crise pour aider les plus démunis. Hors du temps, ces espaces isolés témoignent du regain de la religiosité au sein du pays, de la montée du patriotisme et du retour d’une vision traditionnelle des identités de genre.
Preuve que la thématique de l’être à part touche un large public, les spectateurs ont également tenu à récompenser un film sur la marginalité. Dans Sauvage, David Siodos nous plonge dans l’univers de Franck. Voilà six ans que le jeune homme habite seul dans la forêt. Terrifié par le monde alentour, il préfère vivre en retrait aux côtés de ses chats. Assumant pleinement ses choix, il explique avec une grande sincérité ses motivations, son besoin de solitude pour s’extirper de l’incessant tumulte de nos sociétés contemporaines. Reflets de certaines préoccupations actuelles, les différents prix des Nuits Photo semblent alors souligner, en creux, l’aspect pérenne d’un attrait pour les modes de vie alternatifs.
Des Frères © Salomé Hevin
Chaos © Tao Douay
Les Impatientes © Lionel Jusseret
Cape ou pas cape ? © Julien Athonady et Thibault Le Marec
Image d’ouverture © Tao Douay, lauréat du Grand Prix LNP