En voyage à Mexico, la photographe Chiara Bonetti découvre le Danzón, un genre musical populaire d’origine cubaine, et ses pistes de danse d’un autre temps. Dans One last Danzón, elle fait le portrait de ces lieux atypiques, aussi nostalgiques que vibrants.
Salon Los Angeles, El California Dancing Club, El Romo… Trois établissements rythmés par la musique du Danzón, originaire de Cuba. Sur la piste de danse ? Des couples éphémères, émus par la musique, des passionnés d’un autre âge, se donnant rendez-vous pour s’unir, le temps d’un air, au cœur des night clubs. C’est par hasard que la photographe Chiara Bonetti a découvert ces lieux. « Je réalisais une commande à Mexico, début 2020. Sortir en boîte de nuit me manquait, et j’avais envie d’explorer la scène nocturne mexicaine. Un ami m’a fait la surprise de m’emmener au Salon Los Angeles », se souvient-elle.
Habituée des shootings de mode, l’artiste d’origine italienne a immédiatement été charmée par l’esthétique de ces espaces intemporels. Les couleurs vives, les costumes des messieurs, les robes virevoltantes des dames. « One last Danzón donne à voir l’incroyable poésie qui existe en ces lieux. Cette fois-ci, nul besoin d’effets spéciaux, de maquillage ou de stylistes – tout était déjà sous mes yeux », précise-t-elle. Une approche plus documentaire, inspirée par un décor somptueux, et une histoire unique.
Une joie de vivre contagieuse
Apparu au 19e siècle, le Danzón était d’abord décrit comme une danse en couronne (appelée ainsi car les participants tracent, avec leur pas cette forme au sol, NDLR), populaire dans les communautés noires de Cuba. En 1870, le compositeur Miguel Faílde Pérez invente la Contradanza, une version plus lente, plus sensuelle du style musical, permettant aux couples de s’approcher, et d’évoluer en position fermée. « Le tempo langoureux, les mouvements de hanches, la proximité entre les partenaires et les femmes jouant avec leur éventail étaient vus comme quelque chose de très provocateur à l’époque », précise Chiara Bonetti. Une « obscénité » qui n’empêche pas le Danzón de séduire une majorité de la population et de s’exporter dans d’autres pays latins – notamment au Mexique, ou ses pas évoluent. Si aujourd’hui sa popularité a régressé, quelques amateurs se retrouvent toujours dans les salles de danse du pays, et laissent à la porte leurs différences pour s’enivrer de leur musique favorite.
C’est cette plongée dans un autre temps que la photographe a souhaité capturer. Prenant le temps de parler aux danseurs, d’apprendre elle-même quelques pas, Chiara Bonetti capture des instants précieux. Vibrantes, charmantes, ses images évoquent la joie de vivre contagieuse abritée par les établissements. « Je m’y sentais chez moi, bien que ces endroits n’existent pas dans ma propre culture. Tout me semblait familier. J’avais l’impression de remonter le temps, de revivre les histoires de mes grands-parents », confie-t-elle. Au pic de leur succès, les pistes de danse accueillaient Gabriel Garcia Marquéz, Frida Kahlo ou même Che Guevara. En observant les compositions de l’auteure, on découvre un tourbillon dansant, effaçant les tracas du quotidien, et l’on partage, le cœur léger, un Danzón avec les artistes d’autrefois. C’est là toute la force de ces clichés. Alors que les salles de spectacles et les boîtes de nuit demeurent fermées, il nous semble plonger dans un univers festif, où les corps s’explorent et les rires retentissent. « Cette communauté de nostalgiques m’a d’ailleurs tellement émue que j’ai décidé de soutenir le Salon Los Angeles, qui risque de faire faillite à cause de la pandémie », ajoute la photographe. Une aide qu’elle concrétise en faisant de son projet un ouvrage, dont les recettes seront entièrement reversées à l’établissement.
One last Danzón, autoédité, 45€, 80 p.
© Chiara Bonetti