Les pistes de danse d’autrefois

11 février 2021   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Les pistes de danse d’autrefois

En voyage à Mexico, la photographe Chiara Bonetti découvre le Danzón, un genre musical populaire d’origine cubaine, et ses pistes de danse d’un autre temps. Dans One last Danzón, elle fait le portrait de ces lieux atypiques, aussi nostalgiques que vibrants.

Salon Los Angeles, El California Dancing Club, El Romo… Trois établissements rythmés par la musique du Danzón, originaire de Cuba. Sur la piste de danse ? Des couples éphémères, émus par la musique, des passionnés d’un autre âge, se donnant rendez-vous pour s’unir, le temps d’un air, au cœur des night clubs. C’est par hasard que la photographe Chiara Bonetti a découvert ces lieux. « Je réalisais une commande à Mexico, début 2020. Sortir en boîte de nuit me manquait, et j’avais envie d’explorer la scène nocturne mexicaine. Un ami m’a fait la surprise de m’emmener au Salon Los Angeles », se souvient-elle.

Habituée des shootings de mode, l’artiste d’origine italienne a immédiatement été charmée par l’esthétique de ces espaces intemporels. Les couleurs vives, les costumes des messieurs, les robes virevoltantes des dames. « One last Danzón donne à voir l’incroyable poésie qui existe en ces lieux. Cette fois-ci, nul besoin d’effets spéciaux, de maquillage ou de stylistes – tout était déjà sous mes yeux », précise-t-elle. Une approche plus documentaire, inspirée par un décor somptueux, et une histoire unique.

© Chiara Bonetti© Chiara Bonetti

Une joie de vivre contagieuse

Apparu au 19e siècle, le Danzón était d’abord décrit comme une danse en couronne (appelée ainsi car les participants tracent, avec leur pas cette forme au sol, NDLR), populaire dans les communautés noires de Cuba. En 1870, le compositeur Miguel Faílde Pérez invente la Contradanza, une version plus lente, plus sensuelle du style musical, permettant aux couples de s’approcher, et d’évoluer en position fermée. « Le tempo langoureux, les mouvements de hanches, la proximité entre les partenaires et les femmes jouant avec leur éventail étaient vus comme quelque chose de très provocateur à l’époque », précise Chiara Bonetti. Une « obscénité » qui n’empêche pas le Danzón de séduire une majorité de la population et de s’exporter dans d’autres pays latins – notamment au Mexique, ou ses pas évoluent. Si aujourd’hui sa popularité a régressé, quelques amateurs se retrouvent toujours dans les salles de danse du pays, et laissent à la porte leurs différences pour s’enivrer de leur musique favorite.

C’est cette plongée dans un autre temps que la photographe a souhaité capturer. Prenant le temps de parler aux danseurs, d’apprendre elle-même quelques pas, Chiara Bonetti capture des instants précieux. Vibrantes, charmantes, ses images évoquent la joie de vivre contagieuse abritée par les établissements. « Je m’y sentais chez moi, bien que ces endroits n’existent pas dans ma propre culture. Tout me semblait familier. J’avais l’impression de remonter le temps, de revivre les histoires de mes grands-parents », confie-t-elle. Au pic de leur succès, les pistes de danse accueillaient Gabriel Garcia Marquéz, Frida Kahlo ou même Che Guevara. En observant les compositions de l’auteure, on découvre un tourbillon dansant, effaçant les tracas du quotidien, et l’on partage, le cœur léger, un Danzón avec les artistes d’autrefois. C’est là toute la force de ces clichés. Alors que les salles de spectacles et les boîtes de nuit demeurent fermées, il nous semble plonger dans un univers festif, où les corps s’explorent et les rires retentissent. « Cette communauté de nostalgiques m’a d’ailleurs tellement émue que j’ai décidé de soutenir le Salon Los Angeles, qui risque de faire faillite à cause de la pandémie », ajoute la photographe. Une aide qu’elle concrétise en faisant de son projet un ouvrage, dont les recettes seront entièrement reversées à l’établissement.

 

One last Danzón, autoédité, 45€, 80 p. 

© Chiara Bonetti© Chiara Bonetti
© Chiara Bonetti© Chiara Bonetti

© Chiara Bonetti

© Chiara Bonetti© Chiara Bonetti
© Chiara Bonetti© Chiara Bonetti

© Chiara Bonetti

© Chiara Bonetti

Explorez
Les images de la semaine du 28 avril 2025 : rétrospective d’avril
© Sander Coers
Les images de la semaine du 28 avril 2025 : rétrospective d’avril
C’est l’heure du récap ! De nombreux rendez-vous ont rythmé les publications de cette semaine. Les coups de cœur du mois, un nouvel...
04 mai 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les Rencontres de Niort : la nuit en ébullition des artistes en résidence
Les ballades du corail © Joan Alvado
Les Rencontres de Niort : la nuit en ébullition des artistes en résidence
Depuis 1994, Les Rencontres de la jeune photographie internationale de Niort poursuivent leur volonté d’être un incubateur de création...
03 mai 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Pôle Nord, corgis et plongeuses japonaises : nos coups de cœur photo d’avril 2025
Images issues de Midnight Sun (Collapse Books, 2025) © Aliocha Boi
Pôle Nord, corgis et plongeuses japonaises : nos coups de cœur photo d’avril 2025
Expositions, immersion dans une série, anecdotes, vidéos… Chaque mois, la rédaction de Fisheye revient sur les actualités photo qui l’ont...
30 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les images de la semaine du 14 avril 2025 : mémoire et conversations
© Louise Desnos
Les images de la semaine du 14 avril 2025 : mémoire et conversations
C’est l’heure du récap ! Récits intimes, histoires personnelles ou collectives, approches de la photographie… Cette semaine, la mémoire...
20 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Sony World Photography Awards 2025 : Photographier le déni, documenter les résistances
The Journey Home from School © Laura Pannack, United Kingdom, Winner, Professional competition, Perspectives, Sony World Photography Awards 2025.
Sony World Photography Awards 2025 : Photographier le déni, documenter les résistances
Des corps qui chutent, des trajectoires contrariées, des espaces repris de force… Et si la photographie était un langage de reconquête ?...
Il y a 7 heures   •  
Écrit par Anaïs Viand
Marion Gronier, la folie et le regard
© Marion Gronier, Quelque chose comme une araignée / Courtesy of the artist and Prix Caritas Photo Sociale
Marion Gronier, la folie et le regard
Pendant deux ans, Marion Gronier a arpenté des institutions psychiatriques en France et au Sénégal. Sans jamais montrer de visages, elle...
09 mai 2025   •  
Écrit par Milena III
Anouk Durocher : portrait d'une révolution intime
© Anouk Durocher
Anouk Durocher : portrait d’une révolution intime
Nous avons posé quelques questions à Anouk Durocher, artiste exposée à Circulation(s) 2025. Dans son travail, elle explore l'approche...
08 mai 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Daniel Obasi : l'étoffe de la révolte
Beautiful Resistance © Daniel Obasi
Daniel Obasi : l’étoffe de la révolte
À Lagos, Daniel Obasi, 30 ans, met en lumière les communautés marginalisées du Niger à travers une mode émancipatrice et...
08 mai 2025   •  
Écrit par Milena III