« Dans la photographie de portrait, il y a quelque chose de plus profond que nous recherchons à l’intérieur d’une personne tout en étant douloureusement conscients qu’une des limites de notre médium est que l’intérieur n’est enregistrable que dans la mesure où il est apparent à l’extérieur », pouvons-nous lire sur l’un des murs de la Villa Les Roches Brunes. Tout autour, une multitude de visages aux nuances monochromes s’affichent fièrement sur les cimaises. Cet ensemble d’émotions disparates a été immortalisé par Irving Penn, à qui nous devons également cette phrase liminaire. Nous sommes au cœur d’une demeure de la Belle Époque, qui surplombe la superbe côte d’Émeraude et accueille, en ce moment même, une exposition sur l’illustre photographe. Instiguée par François Pinault, Portraits d’artistes donnent à voir 74 tirages issus de ses collections. Le premier cliché classique jamais acheté par l’homme d’affaires français était signé Irving Penn.
Irving Penn © The Irving Penn Foundation
Un portraitiste de son temps
Dans les méandres de la villa, des figures connues, et d’autres qui, de nos jours, le sont beaucoup moins, se dessinent peu à peu. Nous reconnaissons bien sûr les traits familiers de Pablo Picasso, qui nous font face dès le pas de la porte d’entrée franchi. Puis, à mesure que nous nous approchons, nous redécouvrons ce génie que nous ne saurions désormais dissocier de sa misogynie. Comme un autoportrait dissimulé, son œil réfléchit les contours d’Irving Penn qui devient alors le centre de l’image. Il semble ainsi rappeler, en contrepoint, que cette réunion singulière est de son fait. Marlene Dietrich, Salvador Dalí, Colette, Louis Armstrong, Joséphine Baker, David Bowie et Iman, Ingmar Bergman… Dans les pièces adjacentes, d’autres artistes des formes et des couleurs, des mots et des sons, des planches et des édifices se dévoilent, esquissant la fresque de celles et ceux qui ont participé à créer une époque.
Placés dans des environnements neutres et quelquefois dans des coins, les artistes s’expriment comme bon leur semble. Souvent, leurs mains se livrent à une étonnante chorégraphie et s’imposent comme un moyen de révéler autrement. Véritable synecdoque, elles sont semblables à un miroir de l’être et traduisent un souci du détail. Ces fameux « corner portraits » – imaginés aux côtés d’Alexander Libermann, directeur artistique pour Vogue de 1942 à 1990 – souligne la complicité existante entre le photographe et la revue de mode pour laquelle il travailla pendant près de soixante ans. Porté par la beauté des images, quel que soit leur format ou leur support, Irving Penn avait un égal respect pour les magazines et les livres et faisait fi de ce qui était considéré comme relevant du populaire ou de l’élitiste. Portraitiste de son temps, Irving Penn témoignait d’une pareille générosité lorsqu’il s’agissait des sujets qu’il capturait.
Irving Penn © The Irving Penn Foundation
Irving Penn © Condé Nast
Irving Penn © Condé Nast
Irving Penn © Condé Nast
Image d’ouverture : Irving Penn © Condé Nast