Les souvenirs cachés derrière le rideau

28 janvier 2021   •  
Écrit par Finley Cutts
Les souvenirs cachés derrière le rideau

Dans hyle | curtain | backdrop, la photographe finlandaise Anni Leppälä nous transporte dans un monde de rêves et de secrets. Au fond d’un couloir ou caché dans le jardin, on découvre un univers qu’on peine à saisir – un théâtre dissimulé derrière les apparences.

« Souvent, mes images partent d’un sentiment, d’un lieu, d’un souvenir ou d’une expérience que je ne peux que vaguement identifier, mais dont je tente de me rapprocher pour l’extérioriser »,

raconte Anni Leppälä. Plongé dans ce récit introspectif et flottant, il est difficile de saisir précisément le sentiment qui nous envahit. À mi-chemin entre la gaieté et la nostalgie, l’insouciance et l’inquiétude, c’est d’abord la sensation d’une profonde légèreté qui plane sur le livre. En tournant les pages, le sens nous file entre les doigts et nous laisse dépossédés de toute interprétation. Déboussolés, on plonge dans un récit aux lignes troubles, qui n’a d’autre fil conducteur que le libre cours de nos propres pensées. Alors, on apprécie les images à leur surface, dans leur volatilité – dans une esthétique en fuite.

Une porte fermée, un lit défait, une main crispée – autant de détails qui évoquent la poésie du quotidien et la relation entre les êtres qui peuplent l’espace. « Bien que mon travail soit avant tout personnel, je souhaite également que mes images restent accessibles à tous. Les objets qui me fascinent sont transcendés par des thèmes plus généraux comme l’enfance, l’adolescence, etc. Je veux que le spectateur se reconnaisse », poursuit la photographe. Réalisées entre 2002 et 2019, les prises de vue traversent la vie de l’artiste. Autant de moments éparpillés autour d’une maison cachée dans la campagne. Des apparitions humaines surgissent ici et là, mais ne sont que l’allusion d’un passage : le souvenir d’un être aimé ou bien un reflet de soi.

© Anni Leppälä

Au-delà des apparences

« Le mystère et la fuite reflètent la nature voilée de la réalité elle-même »

, avance Anni Leppälä. En découpant les pages pour les photographier de nouveau, ou en jouant sur la transparence du papier, l’artiste s’amuse des textures. L’écorce d’un arbre fait écho aux craquelures de la surface d’une peau, et évoque le passage du temps. « Je suis fascinée par la façon dont la photographie utilise le champ visuel comme matériau et que cette « surface des choses » permet de multiples interprétations », explique-t-elle. Dans hyle | curtain |backdrop, la photographie devient une porte vers la métaphysique – elle permet de voir au-delà des apparences. « Toujours en mouvement et en évolution, la réalité reste en partie inaccessible à nos sens. C’est un clin d’œil aux choses incertaines, inconnues et invisibles », poursuit-elle.

« Hyle » vient du Grec ancien et signifie « la matière première », qui s’oppose à l’essence d’une chose. Mais c’est aussi un certain bois – un thème récurrent dans son travail. « C’est comme si la matière coulait librement et ne prenait que provisoirement forme. Je trouve cette idée intéressante lorsqu’elle est liée au 8e art », explique Anni Leppälä. En repensant le format classique du livre, avec une narration libre et des images superposées, l’artiste interroge la force dramaturgique de la photographie. « Je m’interroge sur les correspondances entre le papier physique et la représentation des matériaux. Il y a une autre couche sous la surface visible, une expérience intérieure de la réalité, qui est accessible à travers ces interstices, ces entailles et ces différentes échelles. Le livre offre la possibilité de saisir les images à travers leurs qualités tactiles », poursuit la photographe. On tient le papier, et sa surface glisse le long de nos doigts. Les images semblent se plier, se chevaucher et se déformer sous la courbure d’une page. On devine des formes nouvelles à travers la transparence d’une feuille, qui disparaissent aussitôt avec l’opacité d’une autre. Qu’elles représentent des rideaux, des arrière-plans ou des fenêtres vers un autre monde, ses images mettent en lumière le grand théâtre qu’est la réalité.

 

hyle | curtain | backdrop, Éditions Kehrer, 35€, 128p.

© Anni Leppälä

© Anni Leppälä© Anni Leppälä

© Anni Leppälä© Anni Leppälä© Anni Leppälä

© Anni Leppälä© Anni Leppälä

© Anni Leppälä

© Anni Leppälä© Anni Leppälä

© Anni Leppälä© Anni Leppälä© Anni Leppälä© Anni Leppälä

hyle | curtain | backdrop © Anni Leppälä

Explorez
La sélection Instagram #524 : espaces intimes
© Sara Lepore / Instagram
La sélection Instagram #524 : espaces intimes
La maison se fait à la fois abri du monde et porte vers le dehors, espace de l’intime et miroir de nos modes de vie. Les artistes de...
16 septembre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
5 coups de cœur qui témoignent d'un quotidien
I **** New York © Ludwig Favre
5 coups de cœur qui témoignent d’un quotidien
Tous les lundis, nous partageons les projets de deux photographes qui ont retenu notre attention dans nos coups de cœur. Cette semaine...
15 septembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les images de la semaine du 8 septembre 2025 : amour et déplacements
Couldn't Care Less © Thomas Lélu et Lee Shulman
Les images de la semaine du 8 septembre 2025 : amour et déplacements
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, l’amour et les déplacements, quels qu’ils soient, ont traversé les pages de Fisheye. Ceux-ci se...
14 septembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Arpita Shah et la transmission des récits féminins
© Arpita Shah
Arpita Shah et la transmission des récits féminins
À travers sa série Nalini, la photographe indo-britannique Arpita Shah explore l’histoire de sa famille et des générations de...
12 septembre 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Nos derniers articles
Voir tous les articles
What’s the word? Johannesburg! : L'Afrique du Sud se raconte à la Fondation A
© Afronova Gallery, Alice Mann, Siphithemba Mshengu, 2018.
What’s the word? Johannesburg! : L’Afrique du Sud se raconte à la Fondation A
Accueillie jusqu'au 21 décembre 2025 à la Fondation A, située à Bruxelles, l’exposition What’s the word? Johannesburg! nous présente le...
Il y a 5 heures   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Jet Siemons : combien de temps faudra‑t‑il pour qu’on m’oublie ? 
© Jet Siemons
Jet Siemons : combien de temps faudra‑t‑il pour qu’on m’oublie ? 
Dans Hannie & Billo – The Trail Project, Jet Siemons retrace la trajectoire d’un couple, Hannie et Billo, à partir d’un album photo...
Il y a 10 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Ekaterina Perfilieva et l'intime au cœur de la fracture
© Ekaterina Perfilieva, Nocturnal Animals
Ekaterina Perfilieva et l’intime au cœur de la fracture
À la fois distante et profondément engagée, Ekaterina Perfilieva, artiste multidisciplinaire, interroge une contemporanéité...
17 septembre 2025   •  
Écrit par Milena III
Le 7 à 9 de Chanel : Valérie Belin et la beauté, cette quête insoluble
© Valérie Belin
Le 7 à 9 de Chanel : Valérie Belin et la beauté, cette quête insoluble
L’heure des rencontres « 7 à 9 de Chanel » au Jeu de Paume a sonné. En cette rentrée, c’est au tour de Valérie Belin, quatrième invitée...
16 septembre 2025   •  
Écrit par Ana Corderot