Dans le cadre d’une résidence artistique à la Maison de la Chapelle, au cœur de la Provence, Nick Prideaux a imaginé Grace Land. À travers cet ouvrage, le photographe australien transcrit son expérience de la perte après que des inondations ont détruit la demeure dans laquelle il a grandi aux côtés de ses parents et ses sœurs.
« Tout ceci est basé sur un fait réel. Au cours de l’automne australien, en mars 2022, une inondation a touché ma ville natale, ainsi que la région environnante, sur la côte nord-est de la Nouvelle-Galles du Sud. Malheureusement, la maison dans laquelle j’ai grandi a été gravement endommagée. Ce fut une expérience d’autant plus traumatisante que, vivant à l’étranger depuis plusieurs années maintenant, c’est là-bas que je me sentais chez moi. Cette perte m’a profondément affecté. Il s’agissait d’une épreuve si difficile que j’ai voulu en tirer quelque chose de beau », raconte Nick Prideaux. À l’époque, le photographe australien souhaitait justement s’essayer à de nouvelles narrations, plus personnelles, afin de donner une autre impulsion à sa pratique. Ayant alors un sujet tout trouvé, il rejoint, quelques mois plus tard, la Maison de la Chapelle, en Provence, pour une résidence de dix jours. Au cœur de ce monastère du XIe siècle, il transformera cette expérience douloureuse en une série d’images baptisée Grace Land, en référence à un album de Paul Simon que ses parents écoutaient souvent lorsqu’il était enfant. En guise de modèles, il fera appel à des danseuses qui, à travers leurs mouvements, suggèrent les fluctuations des souvenirs.
102 pages
50 €
Des symboles que chacun peut appréhender
« Une grande partie de mon travail est centrée sur l’instant présent. Il s’agit de capturer ma vie dans ces petits moments fugaces. J’ai une relation difficile avec la nostalgie et la mémoire. Avant Grace Land, ce n’était pas des thèmes que j’abordais », relève Nick Prideaux. Derrière sa couverture épurée, faite de lin naturel, l’ouvrage se présente pourtant comme un éloge funèbre destiné à ceux qui restent. Il traduit leurs émotions, les pousse à les accepter pour essayer de tourner la page. Les compositions sont tiraillées entre douceur et violence. Le délicat voile d’organza étouffe les êtres comme il les protège. Le ruban de dentelle obstrue la vue quand il ne recouvre pas les blessures. Un couteau affûté joue les équilibristes sur une orange solaire. L’eau submerge les corps ou se répand dans une cage d’escalier en une fine vapeur. « Je voulais avoir ce sentiment de catastrophe imminente, d’asphyxie, comme si les murs se refermaient sur nous, mais je ne pouvais pas m’empêcher d’ajouter de la beauté, ma petite touche personnelle, explique l’artiste. Comme je ne travaillais pas chez moi, en Australie, je me suis demandé comment j’allais m’y prendre, dans cette maison, située dans le sud de la France, dans laquelle je n’avais jamais mis les pieds. J’ai donc dû faire beaucoup de recherches pour trouver comment représenter une inondation et traduire ce sujet qui me semblait très intime, mais aussi très complexe. » À l’image, les états d’esprit ambivalents, la relation entre un frère et ses sœurs, et les lieux se transposent ainsi. Ils deviennent des symboles que chacun peut appréhender à sa façon.