Dans Strass, sosies de stars, Ljubiša Danilović documente, comme l’indique le titre de la série, le quotidien de sosies de célébrités. À l’image, ils apparaissent aussi bien sur scène que dans leur intimité.
On les rencontre dans les salles des fêtes de province, les stades de banlieue, invités par des municipalités en périphérie des grandes villes. On les retrouve sur la scène d’un 14-Juillet, dans un restaurant à l’occasion d’un mariage ou d’un anniversaire, sur l’estrade d’un centre commercial, dans la salle d’un Ehpad ou dans une discothèque. Ils ressemblent à Stromae, Justin Bieber, Céline Dion, Amy Winehouse, Claude François… et embarquent leur public grâce à de véritables performances chorégraphiques, accompagné·es de danseur·euses et de musicien·nes. Ils chantent – parfois en playback – le répertoire de leur modèle, et tout le monde s’amuse follement à ces représentations qui s’affichent comme des duplicatas des spectacles des stars qu’ils incarnent.
« Personne n’est dupe », souligne Ljubiša Danilović, qui a commencé Strass il y a un peu plus de cinq ans, en s’attachant aux personnages des sosies – dans leur travail scénique comme dans leur vie quotidienne –, mais aussi au public qui les célèbre. « Ils viennent du même monde, partagent les mêmes valeurs », analyse le photographe. Il a longtemps travaillé dans la photographie sociale pour des fondations, lassé des clichés répétés à l’envi : une imagerie noir et blanc dramatisée, des intérieurs dépouillés parce qu’habités par des gens dans le dénuement, des visages émaciés de personnes sous-alimentées. « Quand j’apportais aux commanditaires des images d’intérieurs avec de gigantesques écrans plats, on me disait que ce n’était pas conforme à la représentation désirée. Les intérieurs dépouillés, en réalité, c’est pour les catégories sociales aisées qui se préoccupent de minimalisme et de feng shui. Et le plus souvent, les personnes issues des classes populaires souffrent d’obésité parce qu’elles s’alimentent mal », corrige l’auteur. Loin de tout regard ironique ou condescendant, Ljubiša Danilović dresse une fresque sociale d’une population qu’il connaît bien et cherche à la représenter « avec une imagerie colorée et festive. Je cherche à prolonger la photographie sociale en faisant un pas de côté et en la pensant différemment », précise-t-il.
Humilité et humanité
Dans l’imaginaire du photographe, « les sosies sont un peu des chevaliers des temps modernes, des gens qui, malgré eux, portent le message d’une forme de sobriété, puisque de toute façon, le firmament leur est interdit. Par nature, ils seront toujours la copie, le double… La première place est déjà prise. Métaphoriquement, politiquement, c’est intéressant de se demander ce qu’on peut faire de sa vie quand on sait qu’on ne se sera jamais Justin Bieber ou Céline Dion. Il y a là une humilité extraordinaire », analyse l’auteur. Une humilité, mais aussi une humanité qui filtre au travers des images colorées, pleines de strass et empreintes d’une certaine mélancolie, comme dans les images de Stromae/Andrew, flamboyant à la scène et touchant dans l’intimité de son intérieur, que l’on devine modeste. Amy Winehouse/Sandy travaille à la CAF, a une vie parfaitement équilibrée avec ses enfants, mais le spectacle, c’est son kif intégral. Céline Dion/Florence enflamme des concerts de plus de 10 000 personnes, et ne s’interdit pas de donner des représentations plus intimes pour des fêtes familiales. Justin Bieber/Dylan réplique les tatouages de son modèle à la perfection, donne des concerts en boîte, mais n’hésite pas à faire des ménages quand il est dans le besoin. « Il y a une proximité entre le public et les sosies. Quelque chose de très puissant, très beau. Comme ce spectacle de fin d’année dans un amphi de Bordeaux, qui rassemblait plus de 300 gamins en furie. Je me demande si le public aurait été heureux à un vrai concert de Justin Bieber, pour lequel il aurait payé dix fois plus, observe Ljubiša Danilović. Comme s’il pensait au bout du compte : “On va faire avec ça, et ça nous suffit !” »
La suite de cet article est à découvrir dans Fisheye #68.