Jusqu’au 28 septembre 2025, l’œuvre de Marie-Laure de Decker s’expose à la Maison européenne de la photographie. Au fil de sa carrière, la photojournaliste a placé l’être humain au cœur de sa pratique en immortalisant aussi bien des zones de conflits ou des terrains de luttes sociales que le quotidien de personnes modestes ou connues.
Marie-Laure de Decker ne se considérait pas comme une photographe de guerre. Pourtant, c’est dans les zones de conflits que sa carrière commença. En 1971, elle parvint à se faire une place dans un milieu dominé par la gent masculine en intégrant l’agence Gamma. À seulement 23 ans, la jeune femme souhaitait montrer l’étendue de ses capacités et se rendit au Vietnam où elle immortalisa les soldats en attente des combats. Ses tirages se distinguaient de ce que la presse avait alors coutume de publier. Quelques natures mortes représentant des véhicules ou encore des armes témoignent de la réalité du front tandis qu’une certaine douceur émane des portraits. Des histoires se lisent dans les regards qui marquent les esprits. Les contours de la pratique qui sera sienne se dessinent ainsi. « Je préfère photographier les à-côtés, il y a tant de choses à côté qui décrivent la guerre », expliqua-t-elle. Cette citation, qui se révèle d’autant plus notable à l’heure où l’œil s’habitue à ce type de contenus qui abonde sur les réseaux sociaux, est actuellement inscrite sur un mur de la MEP. Jusqu’au début de l’automne, le musée parisien consacre une importante rétrospective à la photographe française.
Une rencontre derrière chaque image
Au premier étage, l’exposition s’ouvre sur un autoportrait par lequel Marie-Laure de Decker accueille le public. À quelques pas de là, des dossiers mouchetés sont empilés sur une étagère. Ils atteignent le plafond. Par le passé, ils contenaient une partie de ses planches-contact, de ses diapositives et de ses négatifs. Au total, près de 20 000 images composent ses archives dont son fils, Pablo Saavedra de Decker, s’occupe aujourd’hui. Porté par l’importance de « créer des référents féminins », celui-ci est désormais garant de cette mémoire. Il a d’ailleurs collaboré avec Victoria Aresheva, commissaire de la MEP, pour la réalisation de cette rétrospective qui se découpe en trois mouvements. Il y a tout d’abord les conflits armés qu’elle a couverts, parmi lesquels se comptent donc le Vietnam, mais également le Yémen, la Jordanie et le Tchad. Ce dernier pays prit une place importante dans l’existence de la photojournaliste. Si elle s’y rendit d’abord, en 1975, pour couvrir la prise d’otage de Françoise Claustre, elle y passa beaucoup de temps, même après la libération de l’ethnologue et archéologue française. En résulta un grand reportage consigné dans l’ouvrage Pour le Tchad (1978). Quelques années plus tard, son travail sur la guerre s’acheva en Bosnie, d’où elle revint bouleversée par tant de violence.
Outre les conflits armés, Marie-Laure de Decker avait à cœur d’évoquer les sujets sociaux et politiques qui animaient son époque. Sur les cimaises se découvrent notamment des manifestations du Mouvement de libération des femmes (MLF), des marches contre la peine de mort en Irlande ou encore des soulèvements chiliens contre la dictature militaire de Pinochet. À cela s’ajoutent les catastrophes environnementales ou naturellescomme la marée noire en Bretagne ou la sècheresse au Sahel. Enfin, d’autres tirages montrent des femmes dans des filatures de coton, des mineurs dans les abîmes, des ouvriers au travail ou de parfaits inconnus, d’origine modeste, qui apparaissent peu dans les médias. Dans un dernier espace figurent des portraits d’artistes surréalistes, ces « vieux messieurs » auxquels on ne s’intéresse plus, ou encore de personnalités en tout genre dans l’intimité d’une voiture ou d’un salon. Finalement, derrière chaque image se trouve une rencontre. Cet amour de l’humain traverse l’œuvre de Marie-Laure de Decker qui nous invite, à sa façon, à prendre le temps de poser un regard différent sur le monde alentour.