Marungka tjalatjunu (Dipped in Black) est le dernier projet (2022) des cinéastes Matthew Thorne et Derik Lynch. Les deux amis ont uni leurs forces dans un voyage spirituel en quête de paix intérieure et sociale.
Marungka tjalatjunu (Dipped in Black) est une passerelle entre passé et présent. Puissant et poignant, ce projet qui mêle photographie et vidéo suit le voyage de retour de Derik Lynch –– coréalisateur du film – à ses racines pour une guérison spirituelle. « Cela a toujours été mon idée de trouver quelqu’un avec qui collaborer pour raconter mon histoire et montrer l’importance du pays, de la culture, de la langue ainsi que des terres », confie l’homme de Yankunytjatjara. Tout au long du périple on découvre un humain en quête de reconnaissance de son identité queer mais aussi de ses origines aborigènes pendant que des souvenirs d’enfance l’assaillent. C’est un long cheminement sur les terres australiennes, depuis l’oppression de la vie citadine blanche d’Adélaïde jusqu’à son retour dans sa communauté isolée d’Anangu (Aputula) où il a grandi. Derik Lynch retourne aux sources pour se produire sur le terrain sacrée d’Inma (forme traditionnelle de narration utilisant le visuel, le verbal et le physique, ndlr). Pour l’acteur et réalisateur, « Inma est le lien. C’est la musique, la musique traditionnelle. C’est un lien avec le pays. Elle raconte l’histoire de l’identité de la terre et des liens avec les individus qui sont tous liés ». Un cheminement qui lui aura permis une certaine guérison mais aussi la possibilité d’envisager son avenir avec optimisme.
Vers l’acceptation de l’autre
Mais au-delà de cette recherche d’acceptation personnelle, le projet des deux auteurs, est aussi un voyage pour la réconciliation et la compréhension entre « les blancs » et « les aborigènes » (termes utilisés par les deux artistes). Pour Matthew Thorne « ce n’est pas rien d’être une personne blanche en Australie et de vivre sur une terre volée. Le péché originel du pays. Cette malédiction est ancrée dans chaque Australien·ne blanc·he, qu’iel en soit conscient·e ou non. Et lorsque nous parlons de malédiction, il s’agit d’un véritable mauvais sort issu de la magie, qui, si vous allez dans le pays de Derik, vous permet de comprendre qu’il est bien réelle. En tant que personne blanche, le fait de comprendre cela, de le reconnaître, est une partie très importante de la construction d’une relation avec cette terre où l’on est né, de faire une sorte d’acte de réconciliation ».
Arrivé·es en 1788, les Britanniques ont colonisé ces terres d’Océanie et depuis, la scission existe toujours et se ressent au quotidien. Dans les interactions, les possibilités mais aussi les opportunités de vie, qu’elles soient personnelles ou professionnelles, les discriminations sont palpables. Marungka tjalatjunu (Dipped in Black) permet à ses réalisateurs de construire un pont vers l’égalité. En ayant travaillé main dans la main, Derik Lynch et Matthew Thorne ont fait un premier pas vers un futur dont ils rêvent pour leur peuple et pays. « Il y a maintenant beaucoup d’espace pour l’idée que les autochtones, les indigènes, les gens de couleur racontent eux-mêmes leurs histoires. Cela existe déjà pour les Blancs. Mais il y a un troisième espace, qui est celui des histoires que nous racontons ensemble. Et c’est là que nous voulions agir. Nous voulions qu’il s’agisse également d’un travail de réconciliation et de rapprochement de deux mondes », analysent-ils.
Inspirés par le travail de Tracy Moffatt, les deux artistes s’engagent dans la dénonciation du racisme découlant de la colonisation faisant de leurs différences une force. Pour Derik Lynch, le message n’a pas besoin de fioriture, il est simple et clair : « nous existons », déclare-t-il avant de poursuivre, « je veux que les gens s’en rendent compte. Nous sommes important·es, notre culture, notre langue, notre pays et les histoires de la terre… C’est nécessaire parce que c’est la culture vivante la plus ancienne du monde. Je tiens à ce que cela soit bien clair. Je suis un homme traditionnel qui vit dans un monde occidental moderne mais j’ai conservé ma culture et ma langue et je vis dans un monde d’hommes blancs ».
Les deux artistes ont prouvé, à travers leur projet, qu’avec de l’envie et de l’ouverture d’esprit, tout le monde trouve sa place sur des terres partagées entre différentes cultures.