Micropolitique du T-shirt

07 décembre 2017   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Micropolitique du T-shirt

Depuis plus de dix ans, Susan Barnett enregistre les messages véhiculés par les T-shirts que portent les femmes et les hommes de la rue. Emblème de la culture pop et mondialisée, ce vêtement exprime l’état d’esprit de celui qui le porte, tel un outil de communication. Jusqu’à devenir acte politique, par essence… La photographe dessine ainsi patiemment et avec méthode une contre-histoire de notre époque. Cet article fait partie de notre dernier numéro.

Un T-shirt. Rien de plus anodin, rien de plus banal qu’un T-shirt. Objet de consommation courante devenu, par la grâce des « endanceurs », un accessoire de mode pérennisé, c’est un basique que tout individu-consommateur se doit d’avoir dans sa garde-robe. Le T-shirt est un emblème de la culture globalisée. L’apparition officielle du nom de ce vêtement élémentaire date exactement de 1913. À ce moment-là, il apparaît aux États-Unis dans l’uniforme des Marines, sous l’appellation de « T-Type Shirt ». Lié au corps du soldat, il est déjà connoté politiquement.

Peut-être encore plus que le blue-jean et les baskets, autres éléments de la panoplie standard de l’individu anonyme, le T-shirt est aujourd’hui le vêtement le plus universel qui soit. Il habille potentiellement chaque membre de l’humanité, du plus pauvre au plus riche, sous l’emprise d’une uniformisation apparente, comme le plus petit dénominateur commun de la culture populaire post-moderne. Inventé par la culture états-unienne, fabriqué en masse et à très bas coût, par une main-d’oeuvre exploitée, il représente une métonymie du capitalisme avancé. Depuis 2009, Susan Barnett photographie des anonymes dans la rue, qui, tous, portent des T-shirts à messages. Son approche typologique s’affirme par un point de vue systématique : elle photographie ses sujets de dos, centrés dans l’image, comme un portrait psychologique, sans recourir à la représentation des traits du visage. Le T-shirt est considéré comme un outil de communication. Il véhicule l’état d’esprit des personnes : leur identité, « leurs espoirs, leurs idéaux, leurs goûts et dégoûts, leurs choix politiques et leurs mantras personnels », précise la photographe.

© Susan Barnett
© Susan Barnett
© Susan Barnett
© Susan Barnett

Une adresse à l’autre

Titré Not in Your Face, ce projet toujours en cours contient l’idée d’un portrait psychopathologique de l’humanité dans un début de siècle incertain. Plus que de mode, il y est question de la possible affirmation d’une identité paradoxale liée à la consommation de masse. Il y est également question de la séparation des êtres, engendrée par un égotisme obsessionnel, encouragé par la promotion de l’individualisme, produisant une fragmentation du corps social. Porter un T-shirt à message, quel qu’il soit, n’est jamais innocent. Même inconscient, c’est une adresse à l’autre. Une tentative de briser les barrières du solipsisme et d’engager le dialogue dans une conscience renouvelée de l’interdépendance entre les individus.

Il y a plusieurs chapitres dans ce projet, selon les pays dans lesquels il est développé et surtout en fonction de l’évolution des événements. Le T-shirt se révèle être un miroir impensé de l’état d’esprit des peuples. Surnommée la « T-shirt Girl » dans la communauté des photographes, Susan Barnett se souvient aujourd’hui, plus que jamais, qu’elle participa aux grandes batailles des années 1960, du mouvement des droits civiques aux marches de la paix. Depuis la dernière campagne de l’élection présidentielle américaine et dans le cours de l’An 1 du règne de Trump, elle a observé l’apparition de nouveaux T-shirts, toujours plus pessimistes et agressifs. Indépendamment des diktats de l’industrie de la mode, le T-shirt est le révélateur de l’inconscient collectif, des mouvements de pensée et des affrontements idéologiques. Porter cette simple pièce de tissu de coton imprimé est aujourd’hui un acte politique. C’est l’enseignement du travail simplissime en apparence, et obsessionnel de Susan Barnett, riche d’une intelligence sensible de l’être humain. Elle sonde les pensées de ses contemporains au moment où ceux-ci ne parviennent plus à s’écouter, se comprendre, se rencontrer en dehors des enclos asphyxiants de leurs castes, de leurs croyances religieuses et/ou politiques. Poursuivi méthodiquement à travers le monde, le projet de Susan Barnett est éminemment micropolitique : depuis la rue et ses expressions multiples, voire contradictoires, elle écrit une contre-histoire en direct.

© Susan Barnett© Susan Barnett
© Susan Barnett
© Susan Barnett
© Susan Barnett
© Susan Barnett
© Susan Barnett
© Susan Barnett
© Susan Barnett

© Susan Barnett

L’intégralité de cet article est à retrouver dans Fisheye #27, actuellement en kiosque et disponible sur Relay.com

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