Enjeux sociétaux, crise environnementale, représentation du genre… Les photographes publié·es sur Fisheye ne cessent de raconter, par le biais des images, les préoccupations de notre époque. À l’occasion du mois des fiertés, nous faisons défiler les pages de notre magazine pour révéler les artistes qui s’emparent des questions de genre et de sexualité.
Face à la montée des extrêmes à travers le monde, les droits des personnes LGBTQIA+ se fragilisent. Aux États-Unis, le gouvernement de Donald Trump a interdit les livres mentionnant les sujets relatifs à la transidentité, Victor Orban a décidé de bannir la Pride de Budapest, ou encore la Cour suprême du Royaume-Uni a statué que la définition légale du mot « femme » est basée sur le sexe biologique et non sur le genre. Les photographes publié·es sur les pages de Fisheye se mobilisent, documentent les récits et les corps queers, et mettent en lumière les luttes. Avec des écritures visuelles variées, Aldo Giarelli, Anouk Durocher, Aude Osnowycz et le duo composé du photographe Paul Mesnager et de l’autrice Ondine de Gaulle font de l’image l’outil de visibilisation des existences queers. En Inde, en Belgique ou encore en Géorgie, iels racontent des histoires singulières, empreintes d’engagement et de force.
Corps queer
Alors que l’industrie de la mode s’approprie les codes queers sans pour autant faire voir la diversité des corps et pratique ainsi le queer bait, Aldo Giarelli va à contre-courant. Dans sa série We Are Everywhere, l’artiste rend visibles le bizarre et l’étrangeté corporelle, tout en pointant son regard sur leur sexualisation qu’il considère comme un puissant outil d’autodétermination. « Je souhaite montrer des corps qui veulent briser les normes par l’exposition de leur sexualité, de leur variété et de leur volonté de s’affirmer. L’affirmation sexuelle est le point principal d’une révolution qui vise à atteindre une neutralité de la perception du corps », explique-t-il. Dans la nuit, il flashe le désir qui respire de ces corps queers en extase. Il leur rend leur existence dans l’espace et la nature.
Anouk Durocher, exposée lors de la 15e édition du festival Circulation(s), présente Alter Ego Fantasy, une série multimédia qui suit avec douceur le parcours de transition de son ami·e non-binaire Bissi. L’artiste compose un récit en collaboration étroite avec cette personne qui explore une identité du genre singulière, à la frontière des références lesbiennes et queers. En conversation avec les photographies d’Anouk Durocher se trouvent des collages réalisés par Bissi. « J’ai senti très vite qu’il me serait difficile de capter certains aspects de son univers uniquement à travers mon objectif. Il y avait des éléments que seules ses propres mises en scène rendaient visibles. Alors j’ai commencé à explorer son compte Instagram. J’y ai trouvé une matière précieuse, un langage visuel qui disait beaucoup sur la manière dont iel choisit de se présenter, sur le regard qu’iel adresse au monde », raconte-t-elle.
Des histoires de luttes
En Géorgie, les idéaux anti-LGBTQIA+ et liberticides de Vladimir Poutine s’installent. La photojournaliste Aude Osnowycz a rencontré une jeunesse queer et européenne dans ce pays qui tend vers l’autoritarisme. Dans les rues de Tbilissi, lors de manifestations, ou dans leurs espaces plus intimes, la photographe tire le portrait de ces jeunes ayant soif de liberté et de droit. « C’est Lucrécia, un performeur-drag de 28 ans. C’est Diane Joukova, une personne non-binaire, né·e à Saint-Pétersbourg qui, il y a quatre ans, a fui le régime anti-LGBTQIA+ de Vladimir Poutine. C’est aussi Andro Dadiani, un artiste-poète dont l’œuvre gravite autour des questions sociales – droit du travail, violences faites aux femmes, le fanatisme religieux, etc. », confie-t-elle. En face de ces visages, Aude Osnowycz appose en diptyque des images d’éléments révélateurs de l’ex-URSS, un « symbolisme soviétique, teinté par l’univers patriarcal et le conservatisme calqué sur la Russie », précise-t-elle.
Voyage initiatique
Le photographe Paul Mesnager et l’autrice Ondine de Gaulle embarquent dans le long voyage transformateur de Sambhay, un ami d’Ondine, dans la région du Cachemire, en Inde. Après le décès de son compagnon dans une fusillade, Sambhay se convertit à l’islam et prend le nom d’Iqbal, puis entame une transition de genre. Iqbal devient alors Batul. Ces changements de noms sont les prémices d’un récit pluriel où religion et genre s’entremêlent. Les deux artistes documentent la vie en mouvement de cette amie qui embrasse sa féminité et sa foi : « Le premier chapitre présente Iqbal dans sa maison familiale, en costume masculin traditionnel, avec une barbe. Le dernier montre Batul traversant la première journée de sa vie en tant que femme », confie le photographe. Leur travail met en lumière le croisement de multiples enjeux sociopolitiques : droits des personnes LGBTQIA+ et musulmanes en Inde, et particulièrement la coexistence des identités queer et religieuse, qui semblent incompatibles. Dans ce monde hétéronormé, chaque personne queer entreprend ce voyage initiatique de la compréhension de soi, de son corps et des luttes auxquelles elle sera confrontée.