Nicholas Nixon investit les murs de la Galerie Le Château d’Eau, à Toulouse. Une occasion de (re)découvrir sa série The Brown Sisters, exposée dans son intégralité et pour la première fois en France. L’exposition Une infime distance, visible jusqu’au 16 janvier, révèle son regard tendre sur la vie – et la mort.
Heather, Mimi, Bebe, Laurie. Il n’y pas que le sang qui unit les sœurs Brown, il y a aussi, depuis 1975, le 8e art, et l’un de ses représentants : Nicholas Nixon. L’histoire de la mythique série The Brown Sisters a commencé en juillet, cette année-là, alors que le photographe américain et sa compagne, Bebe, rendaient visite à la famille de cette dernière. L’artiste immortalise les retrouvailles des quatre sœurs en réalisant un portrait à la chambre photographique sur un trépied, capturé sur un négatif de noir et blanc. L’année suivante, l’opération se répète à l’occasion de la remise des diplômes de l’une des Brown. Depuis, aucun rendez-vous n’a été manqué, et ce, malgré le temps qui passe et les aléas de la vie – la disparition, la maladie ou encore la pandémie. Toujours face caméra, et positionnées dans le même ordre, les soeurs ont maintenu cette tradition avec celui qui se considère comme un simple « opérateur ». « La chambre photographique installe une distance, elle implique un rapport physique. Pour que le résultat soit bon, il faut que le processus soit difficile. Je suis particulièrement à l’aise avec ce médium », explique le chef d’orchestre. Ici, tradition puritaine et tendresse ne font qu’un. Et les 47 tirages exposés dans la Galerie le Château d’Eau en disent long sur la puissance des liens humains : le choix de l’image finale s’effectue à cinq, systématiquement. Quant au sentiment amoureux, il est fondamental : la relation fusionnelle entre Nicolas et Bebe Nixon constitue le maillon essentiel de ce projet intime.
La douleur du monde
La bonne distance. Tel est l’objet d’une quête devenue obsession. En témoignent les autres productions du photographe exposées à Toulouse. De ses autoportraits jusqu’à sa série sur les malades du sida à la fin des années 1980, en passant par sa série sur les nouveau-nés, Nixon photographie le détail pour dire la beauté de l’humanité tout entière. Ici, un visage ridé photographié en close-up, là une écharpe en mouvement. « Il m’a offert son dernier sourire », commente l’artiste devant la photographie d’un malade. « J’accorde de l’importance au détail, dans les ombres notamment. De façon symbolique, elles renvoient à la mort, comme à l’envie, c’est-à-dire au mauvais sentiment. Ainsi, on accepte d’autant mieux la lumière », précise-t-il. Nicholas Nixon ne documente pas seulement la détresse humaine, il en fait de l’art. Sans voyeurisme ni impudeur, il rend hommage aux oublié·e·s, aux incompris·es.
Au sujet de sa participation à l’exposition New Topographics : Photographs of a Man-Altered Landscape (un évènement tournant dans l’évolution de la photographie documentaire et la représentation des paysages urbains), il déclarait, en 1975 : « le monde est définitivement plus intéressant qu’une quelconque de mes opinions personnelles sur lui ». Et en cherchant à se positionner par rapport à la douleur du monde, il n’a jamais cessé de croire en l’amour. L’amour pour le 8e art, mais pas seulement. L’amour pour sa femme, Bebe, travailleuse sociale qui lui ouvre les portes des hôpitaux dans les années 1980, la seule à regarder, à chaque fois, l’objectif dans la série The Brown Sisters. L’amour pour ses enfants Clémentine et Sam, et pour ses belles-sœurs. Pour parvenir à photographier ainsi la vie – et donc la mort –, il faut savoir regarder le temps, et les gens. Voilà une belle leçon d’humilité. « Il méritait d’avoir une exposition institutionnelle dédiée à son travail », confiait Christian Caujolle, conseiller artistique du Château d’Eau. On ne peut qu’acquiescer : il était temps !
Le Château d’Eau,
1, place Laganne,
Jusqu’au 16 janvier 2022.
Un magnifique ouvrage publié à l’Atelier EXB/ Editions Xavier Barral complète l’exposition :
Une infime distance, Atelier EXB/ Editions Xavier Barral, 55€, 168p.
© Nicholas Nixon / Courtesy galeries Jeffrey Fraenkel, San Fransisco et Eric Dupont, Pairs