À l’occasion de la 9e édition des Rencontres photographiques du Xe, plus d’une cinquantaine de photographes investissent les lieux du 10e arrondissement parisien. Coup de projecteurs sur trois photographes exposées au jardin Villemin.
Lors du lancement de la nouvelle édition des Rencontres photographiques du Xe, nous allions découvrir l’exposition collective des 12 lauréat·e·s au jardin Villemin – un des six hotspots de la biennale de la photo parisienne. Après les grilles de l’entrée dédiées à la série 10 du parrain Marvin Bonheur, en parcourant les allées et le kiosque du jardin Villemin, nous avons découvert des projets à la croisée des champs journalistiques, documentaires, militants ou artistiques. Et parmi les artistes exposé·e·s, trois photographes nous ont interpellé : Carmen Abd Ali, d’Elsa Kostic et de Nouta Kaïe. Toutes les trois développent un regard tendre et engagé et interrogent notre rapport au corps, au genre, à notre image. Trois travaux distincts qui résonnent pourtant à merveille. Chacune, à leur manière, nous invite à une prise de conscience : nos corps sont des hôtels abritant nos pensées et il est vital d’en prendre soin, de les célébrer et de les magnifier.
© à g. Nouta Kiaïe, à d. Elsa Kostic
« Mbelha »
, en hassanya (dialecte arabe) désigne la pratique traditionnelle de gavage des femmes en Mauritanie. Pour son projet éponyme réalisé en 2020 la photographe et autrice indépendante Carmen Abd Ali s’est penchée, à travers le prisme occidental, sur le sort de celles, qui, depuis des siècles, subissent les dogmes aliénants d’une société patriarcale mauritanienne. Selon la tradition, la femme se doit d’être ronde et bien en chair, pour être « désirable », « féminine » et prête à se marier. Pour répondre à ces canons de beauté, elles s’infligent, dès leur plus jeune âge, une vie de sévices au détriment de leur santé. Dans sa série Mbelha, Carmen Abd Ali questionne la notion de beauté. Ses mises en scènes esthétiques, faites de portraits colorés, détonnent avec l’en(v)fer du décor et la violence du quotidien des mauritaniennes. Pour autant, cette série n’entend pas dénoncer ces pratiques culturelles, mais plutôt ouvrir un espace permettant à ces jeunes filles de s’exprimer tout en s’impliquant dans le projet. Carmen Abd Ali témoigne de l’importance de s’approprier et de protéger notre corps. Il est nécessaire d’en faire un lieu de douceur.
© Carmen Abd Ali
En 2016, Elsa Kostic a vécu six mois au Brésil. Là-bas, elle a tissé des liens forts auprès de la communauté LGBTQIA+, et a amorcé une série intitulée XYX−XO. De retour à Sao Paulo en 2020, elle décide de poursuivre ce projet photographique, à la fois cru et poétique, en mettant en scène les acteur·rice·s de cette communauté. Née dans un contexte politique brésilien extrêmement violent, XYX-XO interroge les détours des identités plurielles, et la manière dont nous les représentons. Grâce à ses lectures parallèles du mythe de narcisse (le héros éponyme se donne la mort après s’être rendu fou amoureux de son propre reflet) Elsa Kostic a voulu faire l’éloge de l’amour de soi, sans démesure. Aux confins du naturel et de l’artificiel, ses images révèlent des personnages indépendant·e·s, aux regards intenses et dont les corps sont défaits par les contraintes du genre. Véritable ode à la transformation − le titre de la série évoquant un chromosome sexuel pouvant se réinventer à l’infini − , l’œuvre d’Elsa Kostic nous partage une conviction : c’est en s’aimant et s’acceptant qu’il devient possible d’exprimer son essence véritable.
© Elsa Kostic
Lovstory
, c’est l’histoire universelle d’un amour complexe envers soi-même. Empreinte de tendresse, la série de Nouta Kiaïe se lit comme une percée subtile dans l’intimité des corps – le sien et celui des personnes qu’elle côtoie. À la manière d’un puzzle, la photographe de 25 ans, a réuni des images aux temporalités différentes, mettant en exergue le rapport à la mutation. Ici, la peau et le corps se conçoivent comme les médiums permettant d’accéder à la psyché, au ressenti. L’artiste réussit à montrer que derrière des carapaces brutes se cachent en réalité sensibilités et insécurités. Les protagonistes de ses images se dévoilent sans artifices. Ensemble, ils et elles vibrent, s’affirment et embrasent leur émotions. Plus qu’un dialogue perpétuel entre le corps et l’esprit, Nouta Kiaïe compose ici une œuvre « à fleur de peau ».
© Nouta Kiaïe