Les photographies d’Arko Datto semblent tout droit sorties d’un rêve. Elles en gardent une prégnance métaphysique qu’on traverse en demeurant halluciné, titubant devant cette débauche de couleurs et de lumières. Des lumières crues qui donnent un tout autre éclairage au monde de la nuit que le photographe explore à travers sa nouvelle trilogie dont le deuxième volet consacré à la Malaisie et l’Indonésie, Snake Fire, vient d’être publié aux éditions L’Artiere. Cet article est à retrouver dans notre dernier numéro.
« À l’instar de la filmographie de Lars von Trier, je conçois mes projets comme des trilogies distinctes. En tant qu’artiste, je travaille principalement sur des projets à long terme, et cette étendue de temps et d’espace permet aux projets de se développer sur plusieurs années », nous révèle l’auteur, qui puise son inspiration dans les œuvres des réalisateurs, des écrivains, des sculpteurs, des musiciens ou d’autres artistes. Cette forme lui permet de développer un thème à partir d’une multiplicité de perspectives, de décors ou de personnages – comme la composition en triptyque de Gaspard de la nuit, de Ravel. La trilogie sur laquelle travaille Arko Datto – commencée en 2014 avec un premier opus consacré à l’Inde, Will my Mannequin Be Home When I Return – explore la nuit. « Cette trilogie est un vaste projet : une trilogie sur le temps, la vie et l’espace nocturne – trois éléments essentiels qui existent à la fois en harmonie et en confrontation brutale, explique le photographe. La nuit est le moment où la vie trouve son expression la plus profonde, la plus vraie et la plus intense. » Si son portrait de la nuit indienne nous exposait « un pays déterminé à exterminer ses minorités, ses personnes vulnérables et ses personnes privées de droit », ce deuxième volet « est dédié à ce paradis perdu par l’avidité humaine, une avidité qui a perdu tout sens de l’équilibre et de l’harmonie dans sa marche implacable vers toujours plus de consommation et toujours plus d’appropriation de la nature ». Le troisième et dernier opus, Where Do We Go When the Final Wave Hits, aura pour cadre le delta du Bengale, où vit le photographe, et s’intéressera « aux ramifications psychologiques du changement climatique et de l’élévation du niveau de la mer, explorées à travers les terreurs de la nuit, précise l’auteur. Si Mannequin a des connotations politiques, Snake Fire est plus environnemental, tandis que Final Wave plonge dans un espace psychologique. »
Tout en travaillant à partir de situations réelles, le photographe aime créer des mondes hyperréels aux couleurs intenses. « J’aime travailler sur les extrêmes de la saturation des couleurs, ajoute Arko Datto. L’hyperréel permet de s’approcher d’un espace imaginatif plus élevé, le rendant ainsi plus existentiel. » Une expérimentation largement prolongée dans l’aventure éditoriale qu’accompagnent les éditions L’Artiere qui ont publié les deux premiers volumes. Car si le premier titre a été imprimé en six couleurs (dont trois fluorescentes), le second a bénéficié, en plus de ces six passages, d’une septième couche d’argent, « qui ajoute une complexité visuelle à la perception de l’œuvre en plus de la perception conceptuelle ». L’expérimentation est dans l’ADN de l’artiste qui a reçu une formation scientifique poussée : diplôme d’ingénieur de l’École polytechnique de Paris avec une formation en physique théorique et en mathématiques pures, avant d’étudier la photographie au Danemark. Par ailleurs, l’auteur réalise également des commandes documentaires pour de grands magazines (National Geographic, The Atlantic, Time, Newsweek…) et signe aussi les commissariats d’exposition pour d’autres. « Cela m’apporte beaucoup de présenter les œuvres d’artistes dont j’admire le travail, ces interactions me donnent la possibilité de mieux connaître leurs œuvres », ajoute Arko Datto.
Cet article est à retrouver dans Fisheye #53, disponible ici.
© Arko Datto