Pour sa 25e édition, Panorama dévoile une cinquantaine d’œuvres originales réalisées par les élèves et professeur·es du Fresnoy. Cette année, les artistes n’ont cessé d’interroger leurs mondes intimes et l’univers qui les entoure à travers des installations et des films innovants. Un rendez-vous immanquable à découvrir jusqu’au 7 janvier 2024.
« Ce qui se passe au Fresnoy est unique. Lors de ma première conférence avec les étudiant·es il y a un an et demi je leur ai parlé d’André Bazin qui se demandait « qu’est-ce que le cinéma ? ». Je les ai invités à se demander plutôt « où est le cinéma ? » », se remémore Chris Dercon, directeur de la Fondation Cartier, à l’occasion de l’ouverture de l’exposition Panorama 25 dont il est le commissaire, avant de poursuivre : « La réponse est évidemment partout ! ». Cette réflexion sur le 7e art relie l’ensemble des œuvres exposées au sein de cette 25e édition de Panorama. Pour l’historien de l’art, le cinéma est l’expression d’une utopie, et c’est également cette idée qu’incarne le studio national des arts contemporains de Tourcoing. Sous la forme d’installations ou de courts-métrages, une cinquantaine de réalisations investit l’entièreté du bâtiment afin de rendre hommage à l’architecte Bernard Tschumi qui a réinventé les cimaises du Fresnoy, ainsi qu’à l’équipe et aux élèves de l’école, depuis son ouverture en 1997. Un quart de siècle d’existence pour cette institution qui redouble d’ingéniosité pour accompagner de jeunes artistes dans leur développement artistique et nourrir la représentation de ce que serait le cinéma dans le futur. Chaque année, l’exposition Panorama témoigne de cette vive réussite et la 25e édition ne déroge pas à la règle.
Tant foisonnantes que fascinantes, les œuvres exposées questionnent plus que jamais l’immixtion du numérique dans la création artistique. De thématiques et de formes variées, une partie d’entre elles interrogent plus précisément la place de l’image. Qu’elles soient réalistes ou utopiques, les images se succèdent, se transforment ou même disparaissent. De l’IA en passant au documentaire jusque’à de la mise en scène, les artistes visuel·les du Fresnoy offrent des visions définies de la composition et le rôle d’une image, qui est avant toute chose, une forme de cinéma.
L’image en mutation
Avant de se faufiler à l’intérieur de l’école, notre regard se pose sur un panneau photovoltaïque situé à l’extérieur du bâtiment. Cette installation résulte du projet Résilience. Une histoire aux alentours de 12800 watts d’Hugo Pétigny. « J’ai rejoint à vélo le plus grand centre éolien de France, à Fruges. Avec ma partenaire, nous chargions des lampes dynamo afin d’utiliser la seule quantité de lumière chargée pour réaliser une photo nocturne », explique le photographe qui s’est inspiré de Don Quichotte. En imaginant une manière plus lente et plus écologique de produire une image, Hugo Pétigny se positionne entre deux visions : celle de la décroissance et celle du progrès à l’échelle industrielle. Une fois la nuit tombée, grâce à un capteur de mouvement, son œuvre « quasiment autonome » s’éclaire afin de laisser apparaitre cette photo au bilan carbone faible et mûrement réfléchie. Une démarche lente, mais révélatrice de la difficulté à changer nos habitudes face à la menace du réchauffement climatique.
Au premier étage du Fresnoy, à l’instar de cette installation en extérieur, Lucas Leffler innove en présentant une scénographie unique en son genre : Analog Collapse. Réalisée à l’aide d’une technique ancienne, le collodion humide, l’œuvre se constitue de cent écrans d’iPhone obsolètes où ont été imprimées les images de la vidéo de destruction des usines Kodak en 2007. « Les années 2000 sont marquées par une entrée massive des technologies numériques sur le marché ce qui a provoqué le déclin commercial des ancien·nes fabricant·es de pellicules. L’idée était de se pencher sur les ruines engendrées par ces obsolescences et de trouver une façon de refaire des images avec celles-ci », précise l’auteur. Pour Vadim Dumesh, le téléphone portable prend une place prépondérante dans son projet intitulé Точка . Зору, signifiant « point de vue » en ukrainien. En février 2023, il construit un kit de tournage spécifique qui permet de filmer la vision de la personne qui filme et ses réactions de manière simultanée. « C’est une co-création avec des ukrainien·nes. Comme un bâton de relais, le téléphone se transmet de personne en personne. De la vie quotidienne à des soldats au front, il permet de rendre compte de ce qu’il se passe en Ukraine et de montrer comment les technologies peuvent nous aider à faire des films non pas sur les gens, mais avec les gens », souligne le vidéaste. Un projet de prime abord documentaire qui ouvre un champ des possibles quant aux techniques de tournage des images.
Les métaphores visuelles
L’IA s’invite dans cette édition de Panorama avec Digitalis de Léa Collet. Tout part d’une collaboration artistique avec neuf collégien·nes du collège Marie Curie de Tourcoing et d’une interrogation : « Vous devez vous métamorphoser en fleur, comment peut-on le devenir ? ». Après avoir questionné des scientifiques et des fleuristes, les élèves et l’artiste viennent à un constat précis. La seule manière de devenir fleur consiste à entrainer une intelligence artificielle pendant plusieurs mois afin de créer des mutations humain-fleur. « Digitalis a plusieurs significations, c’est le nom d’une fleur qui signifie doigt en latin, elle pouvait épouser sa forme. Et il évoque le nom digit en anglais, le nombre, le monde digital et virtuel. Ce qu’il y a au coeur de cette installation c’est cette corrélation entre corps, nature et espace digital virtuel », ajoute l’artiste. Dans une installation digne d’une grande expérience scientifique, des petits écrans donnent à voir des visages en pleine mutation florale aux côtés de fleurs qui se transforment, trempées dans du silicone ou imprimées en 3D.
À quelques pas de là, Sarah-Anaïs Desbenoit nous fait voyager dans Night Stalker. Conçues comme des lieux liminaux, ses installations visuelles et sonores s’inspirent de l’histoire du Fresnoy qui fut « une patinoire, un skatepark et d’autres lieux de divertissement » avant de devenir une école d’art. Comme un conte métaphorique, l’artiste nous transporte dans un paysage qui ne cesse d’évoluer. Une roue lumineuse, un visuel d’un coucher de soleil réconfortant… Cette création offre une vision esthétique et poétique à découvrir dans un état méditatif.
La mise en scène au cinéma
Pour terminer ce tour d’horizon de Panorama 25, dirigeons-nous vers les nombreux films projetés dans différentes salles du Fresnoy pendant toute la durée de l’exposition. Les thèmes s’entrechoquent et les styles se diversifient, mais deux d’entre eux marquent particulièrement les esprits pour leur esthétisme semblable à de la photographie de mise en scène. Dans Jour de chance, Ange Lempaszak, s’inspire de la première fois où iel a pu se rendre sur un plateau télé, celui du Bigdil, et où iel s’est rendu·e compte que tout était faux, même les applaudissements et la musique. Puis les années passent, l’artiste grandit au rythme de télé-réalités telles que Secret Story. Ces 17 minutes de références au divertissement populaire, « souvent moqué dans l’art contemporain », constituent une fiction expérimentale qui invite à réfléchir sur les technologies de l’image numérique et notre rapport aux productions télévisuelles.
Dans la même vague des thèmes liés aux générations y et z, Ethel Lilienfeld s’intéresse à un nouveau phénomène résultant de l’évolution des réseaux sociaux : celui des influenceur·ses. EMI est un film réalisé à partir de visuels de synthèse, d’intelligences artificielles et d’images tournées à l’aide d’un fond vert. EMI c’est aussi une influenceuse virtuelle. Pendant 13 minutes, nous suivons les vlogs et selfies de la jeune femme. « Je questionne les codes de la féminité dans l’histoire de l’art et aujourd’hui à l’ère du digital », explique l’artiste. Que ce soit par le biais d’installations ou de films de mise en scène, la photographie ne cesse de se transformer et d’évoluer, au même rythme que les artistes élèves au Fresnoy, qui incarnent, d’une certaine manière, une représentation de l’art visuel d’aujourd’hui et de demain.