Au cœur du Fresnoy, l’exposition annuelle Panorama est devenue un rendez-vous incontournable. Pour sa 27e édition, l’événement orchestre une cinquantaine de propositions signées par les artistes étudiant·es et invité·es. Entre installations et films, les formes hybrides se multiplient et l’image continue de se réinventer, loin des cadres traditionnels.
Depuis sa création, Panorama s’impose comme un laboratoire de l’image contemporaine. À chaque rentrée, le Fresnoy – Studio national, à Tourcoing, ouvre ses portes à un public curieux de découvrir les recherches des jeunes artistes. Panorama 27, placé sous le commissariat de Dirk Snauwaert, directeur du centre d’art Wiels à Bruxelles, confirme l’ampleur et la singularité du dispositif. « Le Fresnoy est quelque chose d’assez unique au monde, souligne le commissaire invité. Nous retrouvons des personnes qui viennent du son, de la photo, du numérique, du cinéma… Tout a une place. Chaque artiste est valorisé·e. » Cette édition prend aussi une résonance particulière, puisqu’elle coïncide avec le départ d’Alain Fleischer, fondateur et directeur historique du Fresnoy. Dans cette période de transition, Panorama réaffirme la vocation de l’institution : ouvrir les pratiques, brouiller les frontières et donner aux artistes les moyens d’explorer les liens entre technologie, image et société.
Les installations : science, perception et divination
Cette année, la photographie ne s’expose plus sur des cimaises. Elle se déploie à travers des dispositifs inédits où l’image se fabrique autrement. Dans Le Jardin des mutations, Hicham Berrada installe une station météo à l’extérieur du Fresnoy pour collecter des données climatiques et visuelles. Celles-ci sont confiées à une intelligence artificielle entraînée à partir d’images accumulées par l’artiste depuis quinze ans, souvent issues de réactions chimiques ou de ses propres clichés. Toutes les minutes, un nouveau visuel unique apparaît. « Elles sont aussi inspirées par le Yi Jing, l’un des plus anciens systèmes d’oracle chinois. En quelque sorte, le précurseur de la pensée du système binaire. La météo fait des lancers de dés qui permettent de tirer une phrase, une orientation, qui se mêle aussi à la réalité », précise l’artiste. Entre science et oracle, le public est plongé dans un monde parallèle où le climat agit comme un dé, déclenchant la naissance d’images mouvantes, presque apocalyptiques.
Non loin de là, un écran nous présente Pacífico, de Daniel Duque, qui nous transporte de l’autre côté de l’Atlantique. Son installation filmique, tout en flous et où chaque arrêt sur image pourrait devenir photographie, fonctionne comme un carnet de souvenirs en mouvement. Inspiré par ses expériences corporelles, telles que la natation et la capoeira, l’artiste compose une polyphonie de récits autour de la naissance et de la célébration de la vie. « Ces deux éléments m’ont permis de faire un film très acrobatique, qui bouge beaucoup », note le cinéaste. Entre vitalité et violence, il fait vibrer l’énergie d’un territoire marqué par l’histoire coloniale et les conflits armés, mais habité, aussi, par la présence de la musique et la puissance de l’océan. Juste à côté, nous découvrons And you want to travel blind de Chloé Wasp. La photographe détourne un sonar, habituellement réservé à l’armée ou à la pêche industrielle, pour filmer le corps d’un apnéiste en mouvement. La technologie projette des ondes qui rebondissent sur les surfaces sous-marines et recréent, pixel par pixel, une forme fantomatique. À l’écran, on identifie une silhouette vibrante, presque embryonnaire, comme pour une échographie. Cette démarche créative résonne particulièrement pour l’artiste, déficiente visuelle, qui peut perdre la vue du jour au lendemain. À la fois expérience scientifique hackée et métaphore face à la menace de sa maladie, l’œuvre nous immerge dans les profondeurs d’un nouveau regard.
Les films : mémoire, conte et regard critique
Face aux installations, les films de Panorama 27 revendiquent eux aussi une multiplicité de voix. Li Xiang livre, avec L’ÉPHÉMÈRE, une méditation en 18 minutes sur la fragilité du temps. Un champ enneigé où broutent des moutons, un chat immobile sur un toit, une balançoire voisine d’une ruine… Par une série de plans fixes, l’artiste déploie une poésie visuelle faite d’instants suspendus, entre apparition et disparition. Dans un tout autre registre, Jérémie Danon revisite l’imaginaire des contes médiévaux. Enthéorie met en scène des personnages hérités de la chevalerie, mais dont les destins échappent aux rôles attendus. Le héros, qui n’a jamais souffert, se demande comment devenir véritablement héroïque. La princesse s’ennuie d’un rôle qui la réduit à choisir un prince. « Tous les personnages vont avoir une destinée pleine de rebondissements, à la fin, pour trouver qui ils veulent être et comment le devenir », ajoute l’artiste. Chaque plan est encadré par des contours ondulants, comme des vagues, qui confèrent au film une dimension photographique. Entre humour et merveilleux, le film questionne le déterminisme et les assignations sociales en jouant avec les codes du conte pour mieux les détourner.
Julia Gostynski, enfin, propose une réflexion sur le cinéma lui-même avec Catalogue of Swallowed Images. Sa protagoniste – « la mauvaise spectatrice » – ferme les yeux au moment où il faudrait regarder, quitte la salle, s’égare dans la ville. Que devient une image lorsqu’on la refuse ? Où vont celles qu’on avale et que l’on garde pour soi ? Par ce geste de résistance, l’artiste interroge la place du ou de la spectateur·ice, sa liberté de voir ou de détourner le regard. En installant l’image dans des dispositifs hybrides, en la travaillant par le son ou en la confrontant à la matière du cinéma, Panorama 27 illustre à quel point les artistes du Fresnoy ne cessent de renouveler notre rapport au visible.