De l’émotion, du sport, un moment historique. Trois des 15 photographes commissionné·es par Fisheye Manufacture pour couvrir les Jeux de Paris 2024 nous en racontent les coulisses.
Paris 2024 avait un objectif : révolutionner les Jeux olympiques et paralympiques, en métamorphosant le patrimoine parisien en un théâtre sportif à ciel ouvert. En répondant à un appel à projet il y a quatre ans, l’ambition de Fisheye allait de pair : poser un nouveau regard sur ce rendez-vous sportif international. C’est ainsi que nous avons donné carte blanche à 15 photographes. Le sport ne constituait pas leur domaine de prédilection. Mais chacun·e, à sa manière, a retranscrit avec justesse et poésie les valeurs de l’olympisme et du paralympisme : en saisissant les athlètes à leur pic de sueur, en captant les émotions qui les ont accompagné·es dans l’effort, en étant le témoin de la transformation iconique de la capitale française en un lieu de célébration et de joie. Nos 15 auteur·ices ont rapporté des photos emblématiques. Et comme chacune d’entre elles a une histoire qui l’est tout autant, nous avons demandé à Sarah Aubel, Boris Allin, alias Boby, et Goldie Williams d’en choisir une issue de leur production respective et de nous en conter la genèse. Des Jeux paralympiques à la liesse en passant par le mouvement sportif, retour sur un événement qui a fait vibrer la France et le monde entier.
Boris Allin
Boris Allin, plus connu sous le pseudonyme de Boby, est un photo journaliste français. Collaborateur de longue date de Fisheye, il s’illustre pour son approche visuelle des manifestations et soulèvements populaires.
« Quelque chose de doux émane de cette photo. Ce n’est pas parce qu’il y a Novak Djokovic au centre que cette image est forte. Ce que j’adore, c’est la façon dont sa fille lui tient la tête. Elle le serre comme s’il était sa peluche, avec tendresse. Puis, une fois qu’on a regardé attentivement ce geste, on remarque que le monstre du tennis embrasse le front de son fils. À trois, ils forment un cocon, une bulle d’amour qui semble hors du temps. Pourtant, supporter·ices en folie s’amassent autour d’elleux, téléphones portables en main, pour saisir cet instant unique. Cette étreinte a lieu juste après un moment historique, celui où le sportif serbe a remporté le tant rêvé titre olympique qui manquait à son palmarès. Pour le cadrage, j’ai eu la chance d’être au bon endroit au bon moment. Contrairement à mes collègues photographes, présent·es sur le terrain dans l’attente de la remise des médailles ou assigné·es à une place spécifique, j’étais dans les gradins et plutôt mobile. Et lorsque Novak Djokovic a couru dans les bras de ses enfants, je me trouvais pile-poil en face. Je voulais être au cœur de l’émotion. J’allais chercher des cadrages plus esthétiques, où le sport occupe moins d’espace que la fièvre de joie qui monte au visage. D’autant plus que dans ma pratique, je ne fais pas de photographie sportive – sauf si l’on considère la manifestation en France comme un sport national [Rires.] J’ai donc considéré la commande de Fisheye Manufacture comme un reportage classique, tout en essayant de sortir de la vision technique du sport, que d’autres photographes maîtrisent bien mieux que moi. J’ai cherché quelque chose de différent. À mon sens, ce qui a rendu ces Jeux de Paris 2024 aussi magnifiques, ce sont les émotions des supporter·ices. Et cette image raconte le sport dans ce qu’il y a de plus beau : se réunir autour d’une passion commune et célébrer ensemble. »
Goldie Williams
Goldie Williams est un photographe français, d’origine haïtienne, né à Paris. Son travail se concentre sur la mode et l’inattendu.
« Quelle est ma photographie la plus emblématique des Jeux de Paris 2024 ? Voilà une bonne question… En près d’un mois de compétition, j’ai pris de nombreuses images que je trouve très fortes. Il faut dire que le cadre magique du Grand Palais ajoutait une symbolique toute particulière aux épreuves d’escrime. J’avais un accès qui me permettait de voir autant les sportif·ves, leurs familles, le staff des Jeux que le public plein de ferveur. L’ambiance dans les gradins était électrique. Mais paradoxalement, au milieu de cette foule en furie, j’étais extrêmement concentré sur les mouvements des escrimeur·euses, sur les épées qui claquaient. J’étais comme dans une bulle. J’avais déjà photographié des athlètes, mais jamais dans leur pratique sportive. C’était si vif, si intéressant d’être dans ce lieu chargé d’histoire pour documenter la plus grande rencontre sportive au monde, et ce, à domicile. J’ai voulu faire des images sincères. Je suis sorti des sentiers battus. Dans la mode, je fais beaucoup de street style, il y a des moments de spontanéité, mais les modèles savent qu’iels vont être pris en photo. Dans le sport, on ne sait pas qui va porter le coup décisif, ni comment l’athlète va gérer ses émotions. Comme la surprise était au tournant, j’étais constamment sur le qui-vive. J’ai travaillé le flou, car il permet de se projeter dans l’action, son énergie et son ambiance. Je le faisais déjà dans mes photographies de mode, mais dans le sport, cela a encore plus de sens, puisque tout est inattendu, mouvant. Lorsque j’ai saisi cette image, je me sentais moi-même un athlète. Un athlète avec une lentille photographique qui me permettait d’être à l’affût. Je ressors changé de cette expérience – au point de m’être fait tatouer les anneaux olympiques après les Jeux. Cela a été l’occasion pour moi de diversifier mon travail qui était, jusqu’à ce jour, très axé sur la mode, tout en gardant mon identité visuelle : le noir et blanc. »
Sarah Aubel
Sarah Aubel est une photographe française qui a aiguisé son regard en couvrant les fashion weeks, de New York à Milan, pour le New York Times. Aujourd’hui, elle explore les histoires d’artisanat et de savoir-faire.
« Lorsque Fisheye Manufacture m’a proposé de couvrir les Jeux de Paris 2024, j’ai questionné ma légitimité, car je suis très éloignée du sport dans ma pratique photographique. Cependant, travaillant régulièrement pour l’agence, je sais qu’elle peut percevoir des choses qui parfois nous échappent à nous, photographes. S’iels m’ont propulsée entre quatre gradins, c’est qu’iels ont leurs raisons. Dès lors, j’ai envisagé cet événement comme un immense terrain de jeu, une aventure stimulante, une façon de fouiller au plus profond de mes ressources pour réaliser de belles images. Après avoir couvert les Jeux olympiques durant quinze jours, une question a fait surface : comment photographier les Jeux paralympiques ? J’avais à cœur de saisir ces compétitions sportives de la même manière que les Jeux olympiques, sans pour autant passer à côté de la question du handicap qui est, à mon sens, primordiale. Il a fallu que je trouve le bon équilibre et je pense y être parvenue […] L’escrime est une compétition ardue à couvrir. Et, soyons honnêtes, je ne comprenais pas grand-chose à ce qu’il se passait. C’était la 17ᵉ épreuve que je photographiais, j’avais de la peine à me renouveler, mon regard était un peu fatigué. À ce stade, je me suis appuyée sur ce qu’on appelle des “instants décisifs”, ces moments où tout concorde. J’ai sorti peu de photographies de ce match, mais je suis attachée à celle-ci. J’étais très émue en assistant aux victoires d’athlètes dont l’existence m’était parfaitement étrangère une heure auparavant. C’est là que réside la force des Jeux, et du sport de manière générale : vibrer pour des inconnu·es, scander leurs noms, pleurer avec eux. Finalement, le cri de cette escrimeuse est aussi un peu le mien. »
Les photographes ayant participé au projet :
Sarah Aubel, Boby, Aliocha Boi, Marie Flament, Etienne Francey, Fred Lahache, Benjamin Malapris, Dorian Prost, Marie Rouge, Paul Rousteau, Philippe Servent, Yann Stofer, Ambroise Tézenas, Nico Therin, Goldie Williams