Photographe phare du 20e siècle, Paul Strand revient avec une rétrospective inédite jusqu‘au 23 avril 2023 à la Fondation Henri Cartier Bresson. Un évènement à ne pas manquer dévoilant toute la dimension sociale et politique du travail de l’artiste américain. Une recontextualisation bienvenue.
Paul Strand ou l’équilibre des forces… Un titre qui nous fait la promesse d’une exposition harmonieuse, tant sur le fond que dans la forme. Et c’est chose réussie. Dévoilant près de 120 tirages d’origine, des photogravures et un film d’époque, la rétrospective, conçue sous le commissariat de Clément Chéroux, nous propose de nouvelles clefs de lecture sur l’œuvre du photographe américain. « Nous sommes très chanceux de présenter l’extraordinaire collection de Paul Strand grâce au prêt de la Fundación MAPFRE de Madrid, qui est à ce jour la plus importante en Europe. L’enjeu de cette rétrospective est double, il s’agit de remettre en contexte et de repolitiser l’œuvre de Paul Strand : comprendre ce qu’il y a derrière chaque projet, chaque voyage. Reconnu comme l’un des plus grands formalistes de son époque, il nous invite également à réfléchir sur ce qu’est la photographie », nous confie Clément Chéroux lors du lancement de l’exposition. S’ouvrant sur le film Manhatta de 1921, réalisé en collaboration avec l’artiste plasticien Charles Sheeler, la rétrospective nous fait rentrer en contact direct avec le New York des années 1920, celui que Paul Strand a côtoyé, se baladant dans ses rues à la rencontre de ses individus. Un film muet contrastant avec le brouhaha de la ville qui ne dort jamais. D’emblée, nous nous engageons dans le mouvement aux côtés de ces personnes inconnues, d’un pas élancé telle une marche pour la liberté.
À g. © Paul Strand, Blind Woman, New York, 1916 / Aperture Foundation Inc., Paul Strand Archive. Fundación MAPFRE Collections, à d. © Paul Strand, Mr. Bennett, West River Valley, Vermont, 1944 / Aperture Foundation Inc., Paul Strand Archive. Fundación MAPFRE Collections
« Une éthique de vie et de vue »
Structurée autour des six ouvrages de Paul Strand, l’exposition revient sur ses différentes séries réalisées entre 1910 et 1970. Le livre s’impose comme l’autre outil de diffusion de la photographie, apportant une véritable consistance à la dimension politique de ses images. Il s’agit alors de regarder les portraits qui sont exposés comme si l’on tournait les pages d’un cahier d’histoire. À chaque image sa signification, son paratexte. Aussi, convient-il de lire entre les traits des hommes et des femmes photographié·es pour comprendre la position de Paul Strand. Au fil de ses voyages dans des lieux chargés d’histoire sociale et politique, l’artiste élabore un style engagé. Ce sont d’abord les portraits de travailleurs précaires au Mexique – pays devenu l’eldorado des grand·es intellectuel·les dans les années 1950. Des photogravures laiteuses nous dévoilant des chaumières au soleil, des christs sanctifiés comme pour caractériser le fardeau de la misère porté par le peuple. Viennent ensuite ses séries sur les paysan·es de Nouvelle-Angleterre, ou de villages français. Nous parviennent également ses projets réalisés au Ghana dans les années 1960, lors de l’indépendance du pays, ou en Égypte quelques années plus tard. Une volonté de décoloniser le regard, de montrer la réalité se fait sentir. Ainsi se construit sous nos yeux le récit humble et bienveillant de petites gens.
Plus les années passent, plus l’époque influe sur les créations de Paul Strand, et plus ses convictions se lisent subtilement. Les corps, les regards, les paysages portent en eux les luttes universelles de classes. Si le politique s’inscrit sur les cimaises et dans nos pensées, à mesure que le travail du photographe murit, une nature douce réinvestit l’espace. Nous apercevons alors le jardin de sa maison d’Orgeval – un village des Yvelines – dans laquelle il s’est retiré pour passer le reste de ses jours. Winter, the garden, Funguns, the garden… Tels sont les intitulés de ses dernières images. Sanctuaire ou espace de méditation, le jardin devient le lieu de la sagesse de Paul Strand : un lieu pour se reposer et se délecter du travail accompli. « Il a photographié le particulier, a rendu présents au monde autant les visages que les choses minuscules. En mettant en avant l’unique, il a fait exister l’autre en tant que tel, tout en le faisant appartenir à un tout », conclut Eric Karsenty, rédacteur en chef de Fisheye Magazine.
À g. © Paul Strand, Young Boy, Gondeville, Charente, France, 1951 / Aperture Foundation Inc., Paul Strand Archive. Fundación MAPFRE Collections, à d. © Paul Strand, Abstraction, Bowls, Twin Lakes, Connecticut, 1916 / Aperture Foundation Inc., Paul Strand Archive. Fundación MAPFRE Collections
© Paul Strand, St. Francis Church, Ranchos de Taos, New Mexico, 1931 / Aperture Foundation Inc., Paul Strand Archive. Fundación MAPFRE Collections
Image d’ouverture © Paul Strand, Wall Street, New York, 1915 / Aperture Foundation Inc., Paul Strand Archive. Fundación MAPFRE Collections