« Photographier mon pays, c’était me mettre en position de difficulté »

13 avril 2016   •  
Écrit par Fisheye Magazine
"Photographier mon pays, c’était me mettre en position de difficulté"
Thomas Vandendriessche, Sébastien Van Malleghem, Colin Delfosse et Cédric Gerbehaye. Ces photographes belges sont à l’honneur cette année pour la 4e édition du festival l’Œil urbain qui se tiendra jusqu’au 22 mais. Nous les avons rencontrés et vous livrons ici le premier des quatre entretiens qu’ils nous ont accordé. Rencontre avec Cédric Gerbehaye.

Cédric Gerbehaye, 39 ans, est né en Belgique. Journaliste de formation, il a choisi la photographie pour témoigner de la réalité complexe à laquelle il s’est confrontée, que ce soit à Gaza, en Turquie, en Irak, en République démocratique du Congo ou au Soudan. L’année 2012 marque une étape importante dans son travail photographique : il laisse derrière lui les zones de conflits pour se consacrer à son pays natal, la Belgique. C’est ainsi qu’est née la série “D’Entre eux”, exposée en ce moment au festival l’Œil urbain. Ses images en noir et blanc dévoilent une sensibilité profonde, presque une vulnérabilité. Dans ce travail, il a capturé la solitude des individus croisés sur son chemin et dépeint un pays en pleine mutation sociale. Un retour aux sources, une forme d’introspection sur laquelle il a accepté de se livrer.

Fisheye : Comment est née D’Entre eux ?

Cédric Gerbehaye : Ce retour en Belgique est né avec la volonté de m’arrêter de voyager et de me concentrer sur une portion de mon pays natal, pour essayer de découvrir à côté de quoi je suis passé. À force de voyager, tu te déracines d’une certaine manière. Quand on me demande de parler de la Belgique, je suis incapable de le faire, je sors toujours les mêmes banalités. J’ai le sentiment que l’on appartient plus au monde que l’on fait qu’à celui d’où l’on vient. J’ai le sentiment d’appartenir davantage à l’addition des différents lieux où je me suis rendu, aux différentes vies qui m’ont été donné de partager, qu’à mon pays d’origine.

Quel est le sens de ce reportage sur la Belgique ?

Je n’ai pas la volonté de faire un travail sur la Belgique, mais en Belgique. J’avais la volonté de m’arrêter et de rester chez moi. De retrouver des habitudes, de découvrir, de prendre mon véhicule et de partir pour quelques jours, de prendre une chambre d’hôtel, d’aller loger chez les gens…

Extrait de "D'Entre Eux" © Cédric Gerbehaye / Agence VU
Extrait de “D’Entre eux” © Cédric Gerbehaye / Agence VU

Tu expliques que tu pars sans avoir d’angle, mais tu as une envie ? Tu dis aussi que quand tu pars en reportage, tu pars avec une question. Là tu pars avec quelle question ?

Je pars avec le bagage acquis durant mes voyages. Je me demande : « Comment vit-on? Qu’est-ce qui nos unit?» Bizarrement, on croit que c’est difficile de partir à l’étranger, d’aller dans des zones complexes, difficiles, mais c’est souvent beaucoup plus photographique. Photographier mon pays, c’était me mettre en position de difficulté et sortir d’une zone de confort. La question est de savoir ce que j’allais pouvoir dire, pouvoir raconter… Visuellement, je me suis demandé ce que j’étais en train de faire. Est-ce que je fais bien ? Je n’ai toujours pas répondu à cette question.

Est-ce que ton regard a évolué avec le temps ? D’entre eux t’a-t-il transformé ?

Il m’a permis de mettre des choses au clair, de faire naître de nouvelles questions puisque c’est toujours les questions qui me motivent à partir, à me confirmer dans le désir de poursuivre dans cette voie. Décider d’être photographe aujourd’hui, s’inscrire dans une photographie documentaire comme celle que je pratique, c’est plus qu’un choix de profession, c’est un choix de vie. J’ai terminé D’entre eux  en juin 2015. Le mois suivant, je partais pour la première fois en Amérique du Sud, rêve que j’avais depuis longtemps. Avec le désir de commencer un nouveau projet personnel.

Extrait de "D'Entre Eux" © Cédric Gerbehaye / Agence VU
Extrait de “D’Entre eux” © Cédric Gerbehaye / Agence VU

D’Entre eux, c’est donc la fin d’un cycle ?

Ce boulot est fait. Mais j’ai le désir de continuer à travailler en Belgique. Est-ce que ce sera possible ? Je ne sais pas, car c’est très personnel et que c’est une infime partie de ce qu’il m’est possible de faire.

Qu’est-ce qui t’as poussé à en faire un livre ?

Être publié dans la presse, c’est toujours mieux. Mais je pense que pour un travail comme celui-ci, la presse n’est pas le support approprié. C’est souvent trop résumé avec peu de texte… Dans le livre, il y a des textes d’auteurs et ils permettent vraiment d’entrer dans la complexité du sujet.

Propos recueillis par Éric Karsenty |Mise en page par Marie Moglia

D’Entre eux,

Cédric Gerbehaye
Textes de Benno Barnard, Caroline Lamarche et Olivier Mouton
Éditions Le bec en l’air, 38 €, 144 pages.

Explorez
Le ministère de l’Aménagement du territoire fête les 80 ans de la Libération
Megapolis, Puteaux, 2025 © Aleksander Filippov
Le ministère de l’Aménagement du territoire fête les 80 ans de la Libération
À l’occasion des 80 ans de la Libération, les ministères de l’Aménagement du territoire et de la Transition écologique ont lancé...
08 septembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Les coups de cœur #558 : Marina Viguier et Emma Tholot
Carmela, série Carmela © Emma Tholot
Les coups de cœur #558 : Marina Viguier et Emma Tholot
Marina Viguier et Emma Tholot, nos coups de cœur de la semaine, explorent la théâtralité comme outil de résistance, de liberté et de...
08 septembre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Les images de la semaine du 1er septembre 2025 : le pouvoir des images
© Julie Wintrebert, Crazy Beaches, 2024 / courtesy of the artist and festival Les Femmes et la mer
Les images de la semaine du 1er septembre 2025 : le pouvoir des images
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, pour la rentrée, les pages de Fisheye se mettent au rythme du photojournalisme, des expériences...
07 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Prix Viviane Esders : éclairer des trajectoires photographiques
© Bohdan Holomíček
Prix Viviane Esders : éclairer des trajectoires photographiques
Créé en 2022, le Prix Viviane Esders rend hommage à des carrières photographiques européennes souvent restées dans l’ombre. Pour sa...
06 septembre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Caroline Furneaux : l'amour en boîte
Rosa, The Mothers I Might Have Had © Caroline Furneaux
Caroline Furneaux : l’amour en boîte
Dans son ouvrage The Mothers I Might Have Had, Caroline Furneaux exhume l'archive intime de films 35 mm de son père décédé pour une...
À l'instant   •  
Écrit par Lou Tsatsas
InCadaqués Festival : Lieh Sugai remporte le Premi Fotografia Femenina 2025
© Lieh Sugai
InCadaqués Festival : Lieh Sugai remporte le Premi Fotografia Femenina 2025
Le Premi Fotografia Femenina Fisheye x InCadaqués a révélé le nom de sa lauréate 2025 : il s’agit de Lieh Sugai. Composée de...
10 septembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
L'errance incarnée par Alison McCauley
© Alison McCauley, Anywhere But Here
L’errance incarnée par Alison McCauley
Avec Anywhere But Here (« Partout sauf ici », en français), Alison McCauley signe un livre d’une grande justesse émotionnelle. Par une...
10 septembre 2025   •  
Écrit par Milena III
Charlotte Yonga et les amours (im)possibles à Madagascar
(Tsy) Possible © Charlotte Yonga
Charlotte Yonga et les amours (im)possibles à Madagascar
Avec sa série (Tsy) Possible, Charlotte Yonga sonde les liens d’amour et de filiation dans la société malgache. Elle expose les dualités...
09 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger