Le photographe espagnol Joan Alvado compose des essais photographiques où l’étrange, le mythe et la légende s’entremêlent. S’inspirant des paysages qu’il côtoie, il dessine avec une poésie mystique des récits à sa propre manière, évitant toujours le regard frontal. Dans ce nouveau format épisodique, Joan Alvado nous entraîne dans les coulisses de la création de ses séries photos. Pour ce premier chapitre, direction la montagne Alto Minho, au nord du Portugal, où il lie narration visuelle et recherche ethnographique.
Os batismos da meia-noite, les baptêmes de minuit – rituel qui consiste à se rendre sur un pont à minuit avec une femme enceinte et lui jeter un sort pour la protéger et l’aider à accoucher.
Dans la nuit, Joan Alvado circule de village en village au sein de la montagne Alto Minho, au nord du Portugal. Ce territoire respire les croyances et les rituels qui s’épanouissent depuis plusieurs siècles. « Le studio d’art et d’architecture FAHR 021.3® m’a appelé pour une résidence, en me disant : “Nous avons une montagne qui pourrait correspondre à votre style” », révèle l’artiste. S’il a débuté par le photojournalisme, Joan Alvado se concentre aujourd’hui sur une approche plus libre du médium où l’image devient l’expression personnelle d’un événement ou d’un lieu. « Avec les légendes, l’histoire ou l’inconnu, rien n’est figé, précise-t-il. Au lieu d’être un problème, cela se mue en terrain des possibles où je suis entièrement libre d’imaginer ce que je veux. » Guidé par le mystère qui imprègne Alto Minho, il constitue pendant six semaines Os batismos da meia-noite au gré des rencontres avec les populations locales et de leurs croyances qui se transmettent de génération en génération. Il consigne, dans un carnet, près de cinquante mythes et légendes, sortilèges et rituels de célébration des défunt·es animant ces habitant·es de la montagne, suivant une philosophie bien particulière : « Si vous croyez en quelque chose, je le respecte et je souhaite être plus proche de vous. Que ce soit vrai ou non n’est pas important », soutient-il. Des fragments de ces mots et des images issues de cette série sont présentés dans le cadre de l’exposition collective Sortilèges, à la Fondation Manuel Rivera-Ortiz pour les Rencontres d’Arles, jusqu’au 5 octobre.
« La magie est bien plus vaste que la simple recherche d’une sorcière »
« J’aime l’inconnu, mais je ne veux pas être représentatif, énonce Joan Alvado. Je crée une ambiance, rien n’est direct. » Cette méthode l’accompagne dans tous ses projets. Si Os batismos da meia-noite évoque la sorcellerie, l’exorcisme ou encore les processions funéraires, aucune image ne les traduit littéralement. Un choix que le photographe justifie par le fait que le réel est entièrement subjectif : « Si quelqu’un me dit qu’il peut parler avec la mort, c’est sa réalité relative. Néanmoins, ce n’est pas non plus la stricte réalité, et c’est quelque chose que je ne peux pas mettre en image. » Ainsi, pas d’esprits ni de sorcières sur les clichés de Joan Alvado, mais « une atmosphère qui par association de photographies amène le spectateur à penser qu’il s’agit d’une sorcière ». Il nous prend par la main et nous emmène à travers les forêts, déploie des minéraux, dévoile des éléments d’archives, illumine des visages – humains ou animaliers –, saisit un calice rempli de ce qui pourrait être une potion magique. « La magie est bien plus vaste que la simple recherche d’une sorcière », ajoute-t-il. Derrière chaque œuvre se cache l’échantillon d’une histoire qui a été griffée sur les pages du carnet de Joan Alvado. Elles constituent une véritable encyclopédie d’expériences surnaturelles et de formules de protections – que ce dernier a par ailleurs utilisé pour purifier son exposition à Arles.
À très vite pour l’épisode 2 !
L’histoire du chat borgne par Joan Alvado :
« Je ne conduis pas. Or pour sillonner la montagne et faire des images, être véhiculé était nécessaire. Durant les six semaines passées à Alto Minho, j’ai été chaleureusement escorté par Claudia Fernandes, une guide locale qui organise des tours dans la région de Peneda-Gerês. Par un concours de circonstances, à force de lui parler de mon projet et des récits surnaturels qui foisonnent sur cette montagne, elle est comme devenue mon assistante de production. Un jour, j’étais vraiment mécontent de mes photos et je lui en ai fait part. Elle m’a demandé : “Es-tu intéressé par un chat noir avec un seul œil ?” Sa mère, Lurdes, était en réalité l’heureuse propriétaire d’une quinzaine de chats noirs, animal totem de l’iconographie des sorcières. Je suis donc allé chez cette femme faire des images de ce fameux félin borgne. Elle et ses amies ont également contribué à mon carnet ethnographique. »