Qu’est-ce qui t’as motivé à candidater pour le prix HSBC ?
Il m’a semblé que c’était une opportunité atypique. Ce n’est pas juste un prix bien doté. Il offre une belle visibilité au travail des artistes (les cinq expositions, le livre). Il permet aussi de travailler avec des gens très doués, de grands commissaires comme Diane Dufour. Et comme il s’étend sur une année, il permet vraiment de s’améliorer – ce qui fut mon cas. Ce prix m’a donné de nouvelles possibilités dans mon processus de création. J’ai pris tout ce que j’ai pu de la chance qui m’a été offerte.
Quelle est l’histoire de ton projet Post, qui t’a valu d’être lauréate ?
C’est un projet très personnel, où il est question de traumatisme, de névrose et des tensions que le corps peut ressentir après un évènement difficile. Il y a eu deux moments clés dans ce travail. Le premier, c’est lorsque j’ai découvert chez mes parents cette appréciation d’un de mes enseignants du primaire. Elle a été écrite quand j’avais sept ans. Elle est présentée au tout début du livre. Je ne l’ai pas exposée, car c’est un peu compliqué, vu qu’elle est écrite en polonais. Mais c’est un document important. Elle dépeint la fillette que j’étais alors : mon professeur me présente comme une enfant brillante, cultivée, sociable, facile à vivre… En lisant cela, je me dis que quelque chose ne va pas. Oui, j’étais bonne élève mais je ne me rappelle pas avoir jamais été une enfant aimable et facile. Ça a été un moment très difficile que la découverte de ce mot. Je voyais un psychologue, je souffrais de mes névroses… Alors j’ai décidé de m’emparer de ce sentiment dans mon travail.
Le second moment fondateur, c’est l’accident de voiture dont j’ai été victime, quelque mois après que j’ai entamé le projet. Ça a complètement changé mon travail. Les images inspirées de l’accident sont très présentes au début de l’exposition. Mais le projet global reste vraiment une réflexion sur la personnalité, l’individualité, les peurs… C’est une introspection.
C’est donc un projet autobiographique, assez intime d’ailleurs. Est-ce que ça a été simple de te raconter ainsi ?
Aujourd’hui je souffre toujours des mêmes angoisses, des mêmes entraves au quotidien : par exemple, je suis mal à l’aise quand je me retrouve dans un groupe de gens que je connais pas – sauf quand il s’agit de parler de mon travail car à force j’ai l’habitude (rire) ! En revanche, c’est très étrange… Il me semble tout à fait normal que ces photos soient montrées. Tout est plus simple, quand il s’agit de faire de la photo, d’en parler. On est parfois tenté de refouler les moments douloureux. Ce n’est pas mon cas, je trouve normal de les invoquer – et surtout dans mon travail. Alors oui, ça a été assez simple pour moi de faire ce projet.
Quand l’accident a-t-il eu lieu ?
En février 2013. C’était le 27, mais je n’en suis plus sûre…
Qu’est-ce que cet événement a changé dans ta pratique photographique ?
Je n’ai pas le sentiment que j’ai eu beaucoup de temps pour réfléchir à cette question. Pendant plusieurs mois, j’ai eu des problèmes de mobilité à cause de mes blessures. Je ne sais pas… C’était une période très pleine. Pleine de questionnements, de changements (une rupture entre autre). En tant que photographe, ça a été difficile car je n’étais plus à apte à produire et travailler normalement. Aujourd’hui, j’ai repris les méthodes et les habitudes que j’employais en tant qu’artiste avant l’accident. Mais ma façon de travailler demeure toujours connectée avec une certaine douleur.
Tes images sont très « physiques » et très différentes de ta série précédente, Oskoma…
Oui tout à fait. Ça découle bien entendu de l’accident. Post est un projet très proche du corps, de la matière. C’est aussi une représentation de l’idée de traumatisme. C’est très bon pour moi. Car j’avais envie depuis longtemps de faire un travail comme celui-là, avec beaucoup d’impact. C’est donc effectivement très différent de ma série précédente qui ne me paraît pas si importante ; disons que c’était plutôt une étape vers la maturité.
Je crois que tu n’aimes pas beaucoup que l’on résume ton travail à une thérapie. Pour quelle raison ?
C’est vrai que l’on m’a beaucoup fait cette remarque ! Et à chaque fois je réponds que non, ce n’est pas une thérapie ! Post n’est pas le résultat d’un combat avec moi-même pour aller mieux. C’est un témoignage, que je voulais partager. Par exemple, lorsqu’un photographe fait un travail documentaire, il s’immerge dans son sujet et décrit, raconte, en images, l’environnement, la situation qui forme son sujet. C’est exactement comme cela que j’envisage ce travail. Par exemple, Christian Vium est un anthropologue et son art est basé sur son métier, son quotidien. Dans mon cas, c’est le traumatisme qui fait mon quotidien et c’est ce dont je rends compte à travers ce travail. Je voulais parler d’un présent, d’une réalité, sans avoir honte, sans malaise… La simplicité du mot « thérapie » m’effraie vraiment, car c’est un mot générique qui résume un point de vue. Ce n’est pas ainsi qu’il faut percevoir ce travail.
Au tout début du projet, avant l’accident, est-ce que tu aspirais déjà à montrer ce travail ? Est-ce qu’il a toujours été important pour toi que ce travail très personnel soit vu ?
Oui ! J’avais déjà fait quelques expositions auparavant et j’avais envie de recommencer. Mais c’est un projet qui a été très long – trois ans. À chaque nouvelle image, il se consolidait et au final, l’exposer était presque une évidence. J’ai ainsi appris qu’il ne fallait pas accrocher un travail trop tôt. C’est une maturation importante.
Il me semble que tu as su tirer quelque chose de très positif d’une expérience terrible, en développant une écriture très poétique. C’est ce qui transparait dans ce gris pur, doux, qui accroche tant le regard dans cette exposition. Quel est le sens de cette couleur dans tes photos ?
C’est la première fois que l’on me dit que ce travail est positif ! Et bien… Cette couleur est très importante. J’ai réalisé que le gris contient beaucoup plus de tension et de pouvoir que dans le noir par exemple. Le noir impose des contrastes des forts, il est plein de symboles trop évidents, comme la mort. En y réfléchissant, c’est une couleur qui ne m’allait pas – okay, je suis habillée tout en noir ce soir mais bon… (rires). Je suis très perfectionniste et je voulais que ce travail soit totalement pur. Aussi, j’utilise très peu le mouvement. Cette immobilisme très froid renvoie selon moi à cette couleur. Et enfin, ce qui me semble très important et qui n’est pas évident, c’est que ce gris est très lié au titre de la série.
Justement, quel est le sens de ce mot, « post » ?
En polonais, post a deux significations. Il y a d’abord le sens commun : ce qui suit, la conséquence comme le post-traumatisme. Mais dans ma langue, il fait référence au jeûne, à l’abstinence religieuse, à un comportent très ascétique fortement attaché à la religion. Certaines photos de cette série – qui ne sont pas montrées ici – font directement référence à l’iconographie religieuse. Moi-même je suis catholique. Le nom de la série n’est donc pas rattaché directement à mes croyances mais vraiment au sens de purification que recouvre ce mot en polonais. C’est un mot dans lequel je me retrouve beaucoup.
Maintenant que la tournée HSBC s’achève, quel est ton sentiment vis-à-vis de ce travail ?
Je suis contente que ça soit terminé. Et aussi très heureuse de l’ampleur qu’il a pris, à travers les expositions, le livre… Mais je commence enfin à m’en libérer. Maintenant je sais vers où je veux aller en photographie.