Pour une censure de qualité

12 janvier 2019   •  
Écrit par Benoît Baume
Pour une censure de qualité

De retour du Lianzhou Foto Festival en Chine, je ne peux que m’insurger contre la censure subie par cette manifestation. Plus de cent images ont été décrochées, et des salles entières – dont l’exposition de Mathieu Pernot et Mohamed Abakar sur les migrants – ont été fermées. Ce qui me révolte n’est pas tant la censure. Quand on veut mener un projet culturel en Chine, on connaît les règles du jeu et il faut les accepter : contrôle en amont des œuvres exposées au moins un mois à l’avance, et vérification des expositions avant toute inauguration. Traditionnellement, la Chine pratiquait la censure dans deux champs bien définis : la sexualité et la politique. Tous propos ou images artistiques liés de près ou de loin à ces problématiques étaient presque systématiquement refusés.

Mais depuis le renforcement du pouvoir de Xi Jinping, le désormais président sans limite, les choses ont changé. La censure peut maintenant toucher n’importe qui, pour n’importe quelle raison, et n’importe quelle image. La morale, voire l’esthétique peuvent entrer en ligne de compte. Et cette part variable n’est pas énoncée, rien n’est défini. Dans ce flou, la peur s’installe de par l’absence même de logique. La censure a posteriori est assurée par des fonctionnaires locaux qui ne semblent avoir aucune idée de ce qu’ils regardent. Ils interprètent des ordres et y apportent une subjectivité qui peut se révéler consternante. De même, le rapport de l’événement culturel avec le pouvoir joue un rôle. Une semaine avant l’ouverture du festival de Lianzhou, le Jimei x Arles International Photography Festival – partenaire chinois des Rencontres d’Arles – n’a vu aucune de ses images censurées alors que les sujets des deux événements n’étaient pas si éloignés. Outre la bonne nouvelle de cette « omission », cela interroge sur les raisons d’une telle disparité.

Je demande donc à la Chine, comme à toute dictature qui se respecte, de nous proposer une censure de qualité, qui soit égale pour tous, avec des règles explicites. Le flou et les décisions locales favorisent la corruption, qui est censée être le grand ennemi de Xi Jinping dans sa volonté de réaffirmer les bienfaits du modèle communiste. Je demande des censeurs de qualité, capables de comprendre les œuvres. Souvent, la censure chinoise actuelle laisse passer des expositions très subversives, car elle ne saisit pas le sens caché ou suggéré de l’œuvre. Ainsi, la série No Place to Place de Wu Guoyong, qui montrait l’énorme gâchis économique et écologique lié à la mise à la casse de millions de vélos en free floating (libre-service) dans les grandes métropoles chinoises, ne fut l’objet d’aucune censure. Un étage en dessous, une image a été retirée car elle présentait une chambre désordonnée. Cela est contre-productif. Une bonne censure, bien organisée, serait redoutablement plus efficace que cette pantalonnade, qui nous rappelle que l’ignorance et l’inculture peuvent gravement nuire à un régime autoritaire. La qualité exceptionnelle des photographes chinois actuels mériterait des censeurs d’excellence. Mais rassurons-nous, ce n’est pas près d’arriver.

Explorez
Fisheye #70 : la photographie de mode montre ses griffes
© Léo Baranger
Fisheye #70 : la photographie de mode montre ses griffes
Alors que la Fashion Week parisienne vient de s’achever, Fisheye consacre son numéro #70 à la mode. Au fil des pages, photographes et...
12 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Man Ray célébré par Reporters sans frontières
© Man Ray
Man Ray célébré par Reporters sans frontières
Pour son 78e album photographique, Reporters sans frontières, l'association engagée pour la liberté de la presse, met à l'honneur l'œuvre...
11 mars 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Dans l'œil de Lorène Durret : Marc Riboud et la guerre du Vietnam loin du front
Un dimanche après-midi au bord du Petit Lac à Hanoï, Nord Vietnam, 1969 © Fonds Marc Riboud au musée Guimet
Dans l’œil de Lorène Durret : Marc Riboud et la guerre du Vietnam loin du front
Aujourd’hui, plongée dans l’œil de Lorène Durret, co-commissaire de l’exposition Marc Riboud – Photographies du Vietnam 1966-1976...
10 mars 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
3 questions à Rob Woodcox et Marie Thibouméry : le pouvoir de l'union des femmes
Naissance d'une Marée © Marie Thiboumery et Rob Woodcox
3 questions à Rob Woodcox et Marie Thibouméry : le pouvoir de l’union des femmes
En découvrant General Prim, un lieu de culture alternatif à Mexico, le photographe américain Rob Woodcox et la directrice artistique...
08 mars 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Lee Miller, mélancolie débordante et chambres d'hôtel : dans la photothèque d'Éloïse Labarbe-Lafon
Diane et Luna, 2023 © Eloïse Labarbe-Lafon
Lee Miller, mélancolie débordante et chambres d’hôtel : dans la photothèque d’Éloïse Labarbe-Lafon
Des premiers émois photographiques aux coups de cœur les plus récents, les auteurices publié·es sur les pages de Fisheye reviennent sur...
12 mars 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Fisheye #70 : la photographie de mode montre ses griffes
© Léo Baranger
Fisheye #70 : la photographie de mode montre ses griffes
Alors que la Fashion Week parisienne vient de s’achever, Fisheye consacre son numéro #70 à la mode. Au fil des pages, photographes et...
12 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Man Ray célébré par Reporters sans frontières
© Man Ray
Man Ray célébré par Reporters sans frontières
Pour son 78e album photographique, Reporters sans frontières, l'association engagée pour la liberté de la presse, met à l'honneur l'œuvre...
11 mars 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
La sélection Instagram #497 : ni blanc ni noir
© collage.art.syb / Instagram
La sélection Instagram #497 : ni blanc ni noir
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine plongent dans un océan monochrome. Iels sondent les nuances de gris, les noirs...
11 mars 2025   •  
Écrit par Marie Baranger