Au cœur de la campagne électorale, les photojournalistes ont le pouvoir de capturer la puissance de l’Histoire, mais aussi de dévoiler les mouvements tectoniques qui agitent la politique américaine. Nous avons rencontré trois photographes dont la vision décalée révèle les enjeux derrière cette course au pouvoir. Cet article, signé Anne-Laure Pineau, est à retrouver dans notre dernier numéro Fisheye #68.
C’est une photo comme on en prend une seule fois dans sa vie. Le genre qu’on retrouve dans les livres d’histoire-géo. Le sang qui éclabousse la joue comme un trait de feutre rouge vif. Le poing levé au ciel. Les gardes du corps en carapace, une construction triangulaire avec la grue épousant la ligne de fuite, comme un rappel de la statue du mémorial de guerre des Marines Corps d’Arlington. Donald Trump, candidat à l’élection présidentielle américaine, a été touché par balle. Derrière l’objectif, ce 13 juillet 2024 lors d’un rassemblement politique en Pennsylvanie, Evan Vucci, habitué aux terrains de guerre (il a couvert les conflits en Irak et en Afghanistan). En plus d’être photojournaliste (primé par un Pulitzer en 2021), il est également directeur photo d’Associated Press (AP) à Washington. Alors, dans l’urgence absolue, il édite sa photo et celles prises par le pool de photographes accrédité·es. Des images historiques, qui vont marquer un tournant dans la campagne électorale. « Voici le combattant dont l’Amérique a besoin ! », tweete aussitôt Eric Trump, fils du candidat républicain. Quelques pixels suffisent-ils pour faire oublier les casseroles qu’il se traîne et l’ériger au rang de soldat ?
Puissance et virilité au cœur de l’image
Ces photos de Donald Trump en martyr de la démocratie, mais aussi les images tournant en ridicule son adversaire démocrate Joe Biden (chutes, port de masques FFP2, air hagard, débat télévisé catastrophique, etc.) finissent par pousser l’actuel président américain à renoncer à sa candidature, le 21 juillet. Il apporte son soutien à sa vice-présidente, Kamala Harris. « Les photos de la tentative d’assassinat relèvent à présent de l’iconographie américaine. La colère noire dans les yeux, le poing levé : nous sommes dans une démonstration d’ultra-virilité qui plaît aux soutiens [de Trump] », souligne Amy Greene, politologue américaine enseignant à Sciences Po Paris. « Ce qui est intéressant, poursuit-elle, c’est que Kamala Harris aussi met en scène un grand dynamisme, avec une posture victorieuse. Elle danse, pose avec sa famille, donne une image jeune, radicalement opposée à celle du président en exercice. » Dans son livre L’Amérique face à ses fractures (Éditions Tallandier, 2024), Amy Greene documente la polarisation grandissante qui s’est créée depuis 2017 aux États-Unis. Selon elle, la culture du melting-pot est en train de disparaître et le rêve américain – pilier de l’imaginaire de l’Oncle Sam – n’est plus qu’un mirage. Les partis doivent donc trouver autre chose que les vieilles rengaines pour obtenir la Maison-Blanche.
Des photos martiales pour des candidats en guerre de position
C’est une photo prise lors de la convention nationale républicaine, qui s’est tenue à Milwaukee en juillet dernier. En bas et au centre d’une pyramide humaine composée de partisans brandissant des affiches de soutien, entouré de ses deux fils, Donald Trump porte un pansement à l’oreille. Sur son visage, un air grave. Son regard porte au loin, christique. Le noir et blanc ainsi que le grain donnent à cette image une touche très sixties. Son auteur est le photojournaliste américain Joseph Rushmore. « Je prends des photos depuis plus de vingt-cinq ans, introduit-il. Le noir et blanc est le meilleur moyen de montrer que des leçons auraient dû être tirées depuis longtemps, en tournant le dos aux régimes totalitaires, à la haine et à la bigoterie. Regardez certaines des photos ayant documenté les luttes pour les droits civiques ou les regroupements nazis des années 30, et regardez ce que je fais aujourd’hui. Ce n’est pas un miroir, mais le même langage. » Natif de l’Oklahoma rural, il fait corps avec son sujet et a posé ses trépieds un peu partout dans la Bible Belt [zone du sud-est des États-Unis où vit un nombre élevé de fondamentalistes chrétiens, ndlr], documentant la montée sournoise de l’extrême droite « depuis la rue jusqu’au bureau ovale ». Une iconographie religieuse ressort souvent de ses compositions : on croit lire dans ses séries des paraboles, des apocalypses…
Joseph Rushmore était parmi la foule, le 6 janvier 2021, quand le Capitole a été attaqué. Ses photos ont fait la une du New York Times. « C’est l’événement qui m’a fait dire que je devais retourner aux sources, quitter Washington, se rappelle-t-il. Je suis revenu en Oklahoma, où tous les comtés votent pour Trump. J’ai promené mon appareil dans les églises, les champs… L’appétit pour les croyances et les mythes est tel dans ces endroits qu’ils sont un terreau parfait pour les fake news et les conspirations », explique celui qui se qualifie comme un indécrottable pessimiste. Un projet nécessaire, comme une parenthèse lui ayant permis de se sentir capable de retourner couvrir le devant de la scène politique, à la convention républicaine.
Cet article est à retrouver dans son intégralité dans notre dernier numéro.
Éditions Tallendier