Nima Taradji : naître et mourir en Amérique 

Nima Taradji : naître et mourir en Amérique 
© Nima Taradji, Why Was I Born
© Nima Taradji, A Hate Crime and Funeral
© Nima Taradji, Hate Crime and Funeral

Photographe de profession depuis 2015 pour les grands noms de la presse anglo-saxonne comme pour Madame Figaro, Nima Taradji dresse un portrait vivant des États-Unis. De A Hate Crime and funeral, portant sur les obsèques d’une victime de crime racial, à Délia-a Transgender women qui s’intéresse à un parcours de transition en passant par Why Was I Born, chronique photographique d’une naissance, il nous ouvre les arcanes de ses séries les plus personnelles, en quête des vagissements graphiques d’une Amérique en constante gestation.

« La photographie de rue est une blague à usage unique » commence Nima Taradji. Une blague souvent amère. Dans un noir et blanc doux, le photographe immerge le·a regardeur·se : « plus on est proche du sujet, plus l’émotion est grande », commente-t-il. Sa pellicule capte, renseigne, saisit parfois la composition métaphorique, mais préfère à l’esthétique la confrontation directe. Une confrontation sensible, parfois déchirante : des funérailles du petit Wadee Al-Faioumy, 6 ans, mort poignardé de 26 coups de couteau à Plainfield dans l’Illinois, on verra les hommes qui prient, le père au regard hagard, les pelletées de terre qu’il faut bien déposer sur la stèle.

« Par cette série [Hate Crime and Funeral] je voulais montrer l’impact direct des discours. Comment un enfant de six ans qui, par définition n’a rien fait, peut-être tué par ces discours de politiques ou de groupe », explique-t-il. Travaillant exclusivement en numérique, l’auteur refuse la notion d’instant décisif : « pour sa célèbre photo, Cartier-Bresson a pris 36 clichés dont il n’a retenu qu’un seul ! », rappelle-t-il. Ces séries sont conçues comme de véritables narrations tendant vers une approche documentaire : « la photographie de rue est une phrase là où la photographie documentaire est un paragraphe, la possibilité de véritablement raconter une histoire. Pour moi la première est une étape vers la seconde », affirme-t-il.

© Nima Taradji, A Hate Crime and Funeral
© Nima Taradji, A Hate Crime and Funeral
© Nima Taradji

Des manifestations violentes aux photos de naissance.

Plus ancienne, la série Délia s’inscrit ainsi dans cette fibre documentaire. Née d’une rencontre fortuite, elle retrace le parcours de Delia Marie K., née David Murray K qui décide, à 54 ans, de transitionner pour devenir une femme transgenre. Entre photos de famille, rasage obligatoire et rires, le photographe saisit les activités quotidiennes, et dresse un aperçu bref et intime de la vie de son sujet. «  La découverte que le genre et l’orientation sexuelle ne sont pas des interrupteurs, mais plutôt un spectre, a été une révélation dont le poids m’a surpris », constate le photographe. Mais quelle meilleure narration que celle d’une naissance ? Dans un bassin, à l’intérieur d’un appartement, Annie – qui donne son nom à la série Why Was I Born – accouche. Le miracle opère dans ce qu’il dit d’une intimité, de la dramaturgie naturel d’un instant. « Les photos d’accouchement sont les plus émouvantes pour moi. J’ai fait de nombreuses photographies de manifestations parfois violentes, mais rien n’égale le sentiment d’être cinq dans une pièce puis six. Surréaliste ! », s’amuse-t-il.

Mais partout, on retrouve le même goût pour les visages, la captation de ce que disent les objets – le landau de l’enfant à naître – d’une attente ; l’image y apparait comme le moyen ultime d’une communication non verbale, puissamment éloquente. Le geste photographique y est fluide, d’une apparente simplicité, quand l’intensité du travail s’y lit dans la subtilité des angles choisis, des compositions arrêtées sur le vif. Un travail d’orfèvre, faussement classique : « je respecte les règles, mais pas les dogmes », conclut Nima Taradji.

© Nima Taradji
© Nima Taradji, Délia

© Nima Taradji, Délia

© Nima Taradji, Why Was I Born

© Nima Taradji, Why Was I Born
© Nima Taradji, Why Was I Born

© Nima Taradji, Why Was I Born

© Nima Taradji, Why Was I Born

© Nima Taradji

À lire aussi
« La chronique de la mort prochaine d’une des communautés les plus reculées des États-Unis »
« La chronique de la mort prochaine d’une des communautés les plus reculées des États-Unis »
Sébastien Leban s’est rendu à Tangier, une île située dans l’État de Virginie, aux États-Unis, et touchée par le réchauffement…
06 août 2019   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Première rétrospective mondiale de Mary Ellen Mark, portraitiste sociale acharnée
© Mary Ellen Mark. La famille Damm dans sa voiture, Los Angeles, California, 1987. Avec l’aimable autorisation de The Mary Ellen Mark Foundation / Howard Greenberg Gallery
Première rétrospective mondiale de Mary Ellen Mark, portraitiste sociale acharnée
Photographe et portraitiste engagée, Mary Ellen Mark (1940-2015) était profondément captivée par la vie de tout un chacun. Ses aventures…
05 juillet 2024   •  
Écrit par Milena III
Explorez
Ed Alcock remporte l'édition 2025 du prix Niépce Gens d'images
© Ed Alcock / MYOP
Ed Alcock remporte l’édition 2025 du prix Niépce Gens d’images
Le prix Niépce Gens d’images vient de révéler le nom de son 70e lauréat : il s’agit d’Ed Alcock. Au fil de ses projets, le photographe...
22 mai 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les métiers de la photographie : Le tirage, un art de l'ombre
© Estelle Hanania Styliste : Léopold Duchemin pour Acne Studios. Set design : Alice Kirkpatrick.
Les métiers de la photographie : Le tirage, un art de l’ombre
Quand on parle de photo, on pense d’abord aux auteur·ices. Mais il y a celles et ceux qui rendent leurs images visibles : les...
22 mai 2025   •  
Écrit par Fabrice Laroche
Les dessous de l'agence Stock Photo : un récit visuel du Québec
Deux jeunes Inuit pratique le chant de gorge devant leurs camarades. Campement d'Okpiapik. Nunavik, 1999 © Jean-François LeBlanc
Les dessous de l’agence Stock Photo : un récit visuel du Québec
Dans le livre Agence Stock Photo, Une histoire du photojournalisme au Québec, la photographe Sophie Bertrand et la directrice artistique...
17 mai 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Un regard brut sur l’exil récompensé par le Saltzman-Leibovitz Prize
© Zélie Hallosserie
Un regard brut sur l’exil récompensé par le Saltzman-Leibovitz Prize
À seulement 21 ans, Zélie Hallosserie remporte le premier Saltzman-Leibovitz Photography Prize pour The Game, un projet...
16 mai 2025   •  
Écrit par Fabrice Laroche
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Dylan Hausthor, là où les papillons veillent et la pluie murmure
© Dylan Hausthor
Dylan Hausthor, là où les papillons veillent et la pluie murmure
Dans son premier livre, What the Rain Might Bring, Dylan Hausthor capture une Amérique rurale peu connue, peuplée d’ombres, de rites et...
Il y a 1 heure   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Que sont devenu·es les artistes exposé·es à Circulation(s) ?
© Jenni Toivonen
Que sont devenu·es les artistes exposé·es à Circulation(s) ?
Le festival de la jeune photographie européenne Circulation(s) fête cette année sa 15e édition. Dénicheur de talents émergents depuis ses...
Il y a 5 heures   •  
Ed Alcock remporte l'édition 2025 du prix Niépce Gens d'images
© Ed Alcock / MYOP
Ed Alcock remporte l’édition 2025 du prix Niépce Gens d’images
Le prix Niépce Gens d’images vient de révéler le nom de son 70e lauréat : il s’agit d’Ed Alcock. Au fil de ses projets, le photographe...
22 mai 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Audrey Tautou investit le Quai de la Photo avec Superfacial
© Audrey Tautou
Audrey Tautou investit le Quai de la Photo avec Superfacial
Les espaces du Quai de la Photo deviennent le journal intime d’Audrey Tautou du 5 juin au 10 septembre 2025. L’actrice y présente...
22 mai 2025   •  
Écrit par Marie Baranger