Il y a dix ans, jour pour jour, des milliers d’Égyptiens manifestaient place Tahrir. Un jour de colère inédit dans un pays où les droits humains sont bafoués. Retour sur ce temps fort, en images, et avec Guillaume Binet, membre de l’agence MYOP, l’un des premiers photographes indépendants sur place.
Le 25 janvier 2011, en Égypte, la colère était dans la rue. « Un rêve », « un miracle », mais aussi un épisode inespéré. L’initiative d’une poignée de militants se métamorphose en un mouvement massif contre le président Hosni Moubarak. Jour de colère. Jour de dérision. Car en 2009, le président a choisi cette date pour célébrer la Fête de la Police. La brillante idée se retourne contre lui : deux ans plus tard, un mouvement voit le jour, et entraîne des millions d’Égyptiens dans la rue. La révolution ! Pendant plus de deux semaines, toute la population se joint aux jeunes et aux chômeurs, dans un mouvement de contestation et provoque la démission d’Hosni Moubarak. Plusieurs centaines de photographes documentent ces manifestations et apportent ainsi un soutien inestimable. Parmi eux, Guillaume Binet, un des premiers photographes indépendant sur le terrain. Des images fortes ponctuant cette lutte se succèdent. On se souvient de l’occupation de la place Tahrir comme le véritable symbole de la révolution, où la résistance se mêle au rêve d’un autre monde. Une page se tourne et un vent d’espoir souffle sur le pays, qui prépare alors une élection. Le 17 juin 2012. Jour historique où Mohamed Morsi, issu du mouvement islamiste des Frères musulmans, devient le premier président élu démocratiquement du pays. Mais la joie se dissipe. Seulement un faux espoir. Malgré l’optimisme du peuple et un réel élan de libéralisation dans le pays, l’armée égyptienne n’est jamais loin, et encadre encore longuement les citoyens. Une liberté totale n’advient malheureusement jamais. Le contrôle de l’armée grimpe sans relâche, jusqu’à l’inévitable coup d’État militaire en juillet 2013, où Abdel Fattah Al-Sissi prend le pouvoir.
Une prison à ciel ouvert
Janvier 2015, un référendum approuvait une nouvelle constitution renforçant les pouvoirs de l’armée. Trois ans plus tard, en avril 2018, lors d’une élection sans surprise Abdel Fattah al-Sissi est réélu avec plus de 97% des voix. Face à lui ? Un unique adversaire Moussa Mostafa Moussa. Depuis, la situation économique et sociale ne cesse de se dégrader. En 2018, selon Amnesty International, les autorités égyptiennes ont arrêté au moins 113 personnes parce qu’elles avaient « exprimé pacifiquement leur opinion ». Un an plus tard cette même ONG déplorait que le pays était devenu « une prison à ciel ouvert pour les dissidents ». L’Égypte d’aujourd’hui est-elle meilleure ? Il y a quatre jours, l’ONG Human Rights Watch adressait une lettre ouverte à l’Union européenne et à ses États membres sur l’Égypte alertant de la crise des droits humains se jouant dans le pays.
Ancien symbole révolutionnaire, la place Tahrir est désormais un lieu touristique où trône un obélisque vieux de 3500 ans entouré de quatre statues de sphinx. Des trésors nécessitant une protection sans faille. Il n’y est plus question d’y manifester, ou d’y réaliser un selfie – les policiers y veillent au grain. À l’image de cet immense carrefour, cette dernière est omniprésente en Égypte. À cela s’ajoutent disparitions fréquentes, et torture systématisée. Nombreux sont les artistes, journalistes, militants pacifiques qualifiés de terroristes. Sur la toile aussi, les libertés sont restreintes. Une loi permet par exemple aux autorités de surveiller les comptes les plus populaires sur les réseaux sociaux, et de les bloquer s’ils diffusent de « fausses informations ». Si l’esprit de la révolution demeure, la peur et la tension ont regagné les rues. Les créateurs, et autres défenseurs de la liberté d’expression poursuivent leur combat devenu plus silencieux. Et ce 25 janvier 2021, 10 ans plus tard, rares étaient les Égyptiens célébrant la police.
© Guillaume Binet / MYOP