Quand Jaakko Kahilaniemi ne questionne pas la vie, il s’occupe de sa forêt de 100 hectares. C’est à l’occasion de l’exposition In the Shadow of Trees, présentée au Hangar lors du PhotoBrussels Festival, que nous avions découvert 100 hectares of understanding, le travail de cet artiste visuel originaire d’Helsinki, en Finlande. Entretien avec celui qui aime se lancer des défis.
Fisheye : À l’âge de 8 ans, tu as hérité d’une forêt de 100 hectares. Comment as-tu réagi à cette annonce ?
Jaakko Kahilaniemi : J’étais vraiment petit quand j’ai appris que j’avais hérité d’un tel espace. J’ai sérieusement compris l’annonce à l’âge de 15 ou 16 ans. Je n’aimais pas l’idée de posséder un morceau de nature. C’était une idée absurde.
Quelles sont les particularités de la forêt ?
Ma forêt est vraiment une forêt typique du sud de la Finlande. Il y a beaucoup d’épicéas, de pins, et quelques bouleaux. Un paysage naturel finlandais normal, je dirais. Rien de spécial et rien d’inhabituel.
Quelle relation entretenais-tu avec la forêt, la sylviculture avant cela ?
Quand j’étais jeune, je n’aimais vraiment pas l’idée que je devais prendre soin de la forêt. Je détestais cela à cause de mon père, qui est forestier/sylviculteur, et qui voulait que je le devienne aussi. Je voulais faire quelque chose de totalement différent de lui. Je pensais que la sylviculture était un travail difficile et que ce n’était pas fait pour moi. Je préférais rêver depuis le sommet du toit de notre maison, regarder filer les nuages au-dessus de moi.
Comment s’est déroulée ta « vraie » rencontre avec la forêt, la foresterie ?
La première rencontre était étrange, j’avais l’impression d’aller sur une autre planète. Je pense aujourd’hui que la planète était en fait mon état mental, et je suis conscient que l’on devrait protéger les forêts et ne pas les couper. La nature, tout comme nous, est confrontée à une réelle crise.
Durant mon processus d’apprentissage, j’ai beaucoup parlé avec mon père qui s’occupe de la forêt depuis 1997, et qui possède également d’autres zones forestières, il sait donc presque tout ce qui concerne la foresterie/sylviculture. J’ai également effectué de nombreux travaux de recherche, par exemple sur les rapports du GIEC et d’autres recherches scientifiques où j’ai pu trouver des informations fiables.
Aujourd’hui, te considères-tu sylviculteur ?
Non, et je ne le deviendrai probablement jamais. Je suis un artiste dans l’âme, qui développe des projets liés à la sylviculture.
Qu’est-ce qui a déclenché l’acte de création pour ton projet 100 hectares of understanding ?
J’avais vraiment envie d’apprendre à connaître la nature, de me sentir familier de ma propre forêt.
Tu as choisi de développer une approche ludique et expérimentale, pourquoi ?
Comme je le disais, j’aime relever des défis en tant qu’artiste. J’essaye toujours de créer quelque chose de nouveau, de développer des langages visuels. J’essaye de créer un art que j’aimerais voir. Pour ce faire, je réfléchis et j’essaye de relier les éléments dans ma tête.
Peux-tu nous parler de tes diverses expériences ?
Dans mes projets, j’aime utiliser des photos de paysages comme point de réflexion. J’aime leur associer des signes visuels, des marques. J’aime aussi composer un ensemble de travaux mélangeant différents types de photos, où tout n’est pas si clair.
En travaillant sur ce projet, tu as développé des rituels, peux-tu nous en parler ?
J’ai par exemple recueilli 54 échantillons de sol différents, j’ai essayé de localiser le point central de la zone, j’ai planté 100 semis dans le sol.
Quelle place occupe la forêt dans ta vie aujourd’hui ?
C’est un endroit où je peux être libre, je n’ai aucune attente. Je chasse avec mon vizsla d’un an et demi, ce qui a créé un lien beaucoup plus intense entre la nature et moi. Je la respecte et je sais que nous devons faire davantage pour rendre sa grandeur à la nature (to make nature great again, NDLR).
Si tu pouvais lui parler, que lui dirais-tu ?
Je lui dirais « désolé ». Désolé pour tous les gens qui ne comprennent pas que sans toi, nous ne serions pas là.
Je crois qu’il s’agit de comprendre que la nature était avant l’homme et qu’elle le sera après. Et ce, même si l’homme la détruit.
Nous, les gens, ne méritons pas la nature.
Tu as commencé ce projet en 2015, et il est toujours en cours. Pourquoi ce besoin de documenter sur le long terme ?
La nature et le monde changent. Et mon cerveau continue à développer des idées. J’ai bien sûr quelques autres projets à côté.
Quelles sont tes références ?
J’aime vraiment la science, mais sur le plan artistique, ma plus grande inspiration reste le mouvement Arte Povera (mouvement artistique italien engagé sur un mode révolutionnaire). J’aime par exemple les sculptures minimalistes de Giuseppe Penone.
À qui s’adresse ce projet ?
100 Hectares of understanding est destiné à celles et ceux qui veulent apprendre quelque chose de nouveau sur la nature.
Trois mots pour décrire ce projet ?
Nature. Vouloir. Gagner. Et en voilà trois autres : mystère, inconnu, imbattable.
Un dernier mot ?
Je recherche un bon galeriste de l’UE et des États-Unis !
© Jaakko Kahilaniemi