Jusqu’au 21 décembre 2024, dans le cadre de PhotoSaintGermain et de Un Week-end à l’est 2024, Rebecca Topakian, photographe franco-arménienne, investit la librairie Delpire & Co pour raconter l’étonnante histoire d’amour de ses arrière-grands-parents – interdite par leurs parents. Ses photographies aux couleurs de sa terre dialoguent avec les livres et les poutres en bois du lieu pour une immersion totale dans son récit familial.
« Il était une fois, Gulizar et Garabed » écrit Anne Bourrassé, curatrice et critique d’art. Ainsi commence le récit romanesque des aïeules de Rebecca Topakian, dont la série Dame Gulizar and other love stories est exposée à la librairie Delpire & Co jusqu’au 21 décembre 2024. Ce conte vieux de quelques centaines d’années s’est transmis de bouches à oreilles, de génération en génération, « au point de tituber entre réalité et fiction » soutient la curatrice. Si la formule « Il était une fois » qu’emploie Anne Bourrassé semble impliquer « une romance universelle » selon sa formulation, il n’en est rien. Le récit que la photographe franco-arménienne explore dans son travail, c’est celui de Garabed et Gulizar, ses arrières-grands-parents, dont l’amour a été interdit par leurs familles respectives. Furieux, Garabed enlève Gulizar à dos de cheval pour vivre leur idylle à Constantinople. Cette façon de faire est une tradition du Caucase où celui qui enlève celle qu’il aime l’épouse par la suite. Une question demeure dans ce conte épique : Quel était le point de vue de Gulizar dans cette péripétie ? En partant de cette énigme et des souvenirs légués à travers le temps, l’autrice, dans une quête d’identité, offre à son arrière-grand-mère le choix de raconter sa propre histoire en mêlant photographies et archives, terre et pierres.
Des pierres et des archives pour révéler les secrets
La vie flottante de Gulizar s’anime entre les murs de la librairie Delpire & Co. Le pas-de-porte franchi, les regards survolent les piles de livres proprement rangées — parmi lesquelles est dissimulé l’ouvrage Dame Gulizar and other love stories, publié aux éditions Blow Up Press – pour atterrir sur des images en grand format dont les cadres épousent le mobilier. Elles constituent les bribes restaurées de cette histoire oubliée. « Pour ce faire, Rebecca Topakian est partie sur les traces de ses ancêtres, en Arménie, dans les grottes païennes et les monastères chrétiens, au cœur des plaines arméniennes d’hiver et d’été, aujourd’hui pillées », note Anne Bourrassé en introduction de l’exposition. La photographe crée un pont entre le passé et le présent, mettant en scène des inconnu·es, dont la peau fusionne avec les paysages. Les non-dits se révèlent et s’intègrent dans la mémoire de la famille Topakian. Au-delà de ses photographies, l’autrice puise autant dans la terre que dans les archives de son clan. Dans deux tiroirs d’un imposant meuble en bois au fond de la librairie – n’hésitez pas à les ouvrir de votre gré – se cachent les reliques de ce conte : des portraits d’antan de Gulizar et Garabed, de leurs enfants et des pierres collectées sur le sol de ses ascendant·es. Ces minéraux typiques d’Arménie (la curatrice mentionne : « obsidienne noire et rouge, tuf, verre de Sevan… ») imprimés d’images d’archives ajoutent de la texture et de la matière au récit de Dame Gulizar. On ne saura jamais si elle a consenti à cet événement, et de fait à ce mariage avec Garabed, mais Rebecca Topakian lui redonne ce choix. Anne Bourrassé ajoute : « Il était plusieurs fois, Dame Gulizar ». Voici comment se termine cette histoire héritée, à la fois douce et violente.
Blow Up Press