Dans Every-day, le photographe français Vincent Ferrané fait le portrait de sept personnes transgenres et non binaires. Photographiés dans leur intimité, tandis qu’ils se préparent à sortir, les modèles dévoilent leur rituel et invitent le regardeur à interroger la notion de genre.
« Des personnes photographiées, on ne saura rien, sinon leur prénom : Ava, Jackie, Leo, Mathieu, Matthias Maty et Raya, car, pour la majorité d’entre elles, il s’agit d’un prénom qu’elles ont choisi. Le reste se comprend par leurs gestes, corps, codes de beautés, choix de vêtements, ce qu’elles affichent aux murs, ce qu’elles portent… »,
déclare Vincent Ferrané. Après avoir photographié l’allaitement de sa compagne, l’intérieur des ateliers des femmes artistes ou encore l’influenceuse Jeanne Damas, l’artiste poursuit sa quête de l’intimité et part à la rencontre de jeunes refusant de respecter les conventions imposées par un système normé homme/femme. Une structure sociale ancestrale, ne convenant pas à leurs idéaux. Transgenres ou non binaires, les protagonistes de ses images révèlent à l’auteur leur manière de se préparer, de se présenter au monde, avec un naturel touchant.
Rejouer son propre rôle
Inspiré par les essais de Judith Butler Gender Trouble et Bodies that matter – dans lesquelles la philosophe et théoricienne américaine questionne la nature performative du genre – Vincent Ferrané tente, dans Every-day, d’illustrer les tensions et limites d’un système dichotomique, opposant féminin et masculin. « En tant que photographe, mon activité se charge de fait d’une forme de représentation du monde. J’ai donc composé à partir de ce que les gens vivement réellement : un moment du quotidien », explique-t-il.
Lui vient alors l’idée de capturer le rituel de la préparation : le choix d’une tenue, le maquillage, le face à face avec le miroir lorsque l’on s’apprête à sortir. Une manière de donner à voir la fluidité du genre. « Un événement simple, mais clé, à la fois symbolique et corporel », estime-t-il. Dans les images de l’auteur, le corps est mouvant. Il virevolte, se change, se révèle, et se cache, flirte avec la non-binarité, et les conventions. Dynamique, il devient synonyme de construction comme de destruction. « Les prises de vue se sont déroulées en dehors d’une ambiance poseuse ou descriptive, confie Vincent Ferrané. L’idée était de créer ce dispositif qui laisse les personnes rejouer leur propre rôle, leur propre rituel avec leurs objets, leurs décors, leur façon unique et personnelle de faire. » Tout en contraste – marqué par la lumière crue du flash et la palette de couleurs vibrante – Every-day s’éloigne volontairement d’une reproduction naturaliste du réel. Avec douceur, empathie, l’artiste pénètre dans une intimité vulnérable, et fait vaciller les représentations communes de tels sujets.
S’affranchir des assignations
On retrouve, dans les clichés de l’artiste une sensibilité proche de celle de Mark McKnight et Jess T. Dugan, dont les créations visuelles l’influencent. Une volonté de présenter au public la diversité, la complexité des êtres humains. « Nous sommes toujours plus que la somme d’adjectifs, même exhaustive, qui pourrait objectiver notre genre, notre orientation sexuelle, notre couleur de peau, notre rapport au divin, la situation géographique de notre naissance… Nous composons à chaque instant avec ces différentes facettes de notre identité », rappelle-t-il.
Tout comme ses modèles, le photographe s’attache à proposer un regard affirmé, capable de transcender les esprits, et de s’épanouir au-delà de la sphère de la communauté LGBTQ+. En imposant une esthétique reconnaissable, une écriture d’auteur personnelle, Vincent Ferrané rend son propre regard visible à l’image, et fait de chaque cliché d’Every-day un dialogue entre deux individus, entre le voyeur et le vu. Représentés dans leur propre intérieur, les modèles s’affranchissent des assignations, des raccourcis imposés par la société et s’affirment comme leur propre personne. Plongés dans leur rituel – un rasage minutieux, un trait d’eye-liner raffiné, un torse plat, une mini-jupe plissée… – ils déclinent avec fierté les multiples représentations du genre. Une notion qui ne demande qu’à se nuancer.
Every-day, Éditions Libraryman, 40€ (signé), 56 p.
© Vincent Ferrané