Reflets et rituels non binaires

12 janvier 2021   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Reflets et rituels non binaires

Dans Every-day, le photographe français Vincent Ferrané fait le portrait de sept personnes transgenres et non binaires. Photographiés dans leur intimité, tandis qu’ils se préparent à sortir, les modèles dévoilent leur rituel et invitent le regardeur à interroger la notion de genre.

« Des personnes photographiées, on ne saura rien, sinon leur prénom : Ava, Jackie, Leo, Mathieu, Matthias Maty et Raya, car, pour la majorité d’entre elles, il s’agit d’un prénom qu’elles ont choisi. Le reste se comprend par leurs gestes, corps, codes de beautés, choix de vêtements, ce qu’elles affichent aux murs, ce qu’elles portent… »,

déclare Vincent Ferrané. Après avoir photographié l’allaitement de sa compagne, l’intérieur des ateliers des femmes artistes ou encore l’influenceuse Jeanne Damas, l’artiste poursuit sa quête de l’intimité et part à la rencontre de jeunes refusant de respecter les conventions imposées par un système normé homme/femme. Une structure sociale ancestrale, ne convenant pas à leurs idéaux. Transgenres ou non binaires, les protagonistes de ses images révèlent à l’auteur leur manière de se préparer, de se présenter au monde, avec un naturel touchant.

Matthias © Vincent Ferrané

Rejouer son propre rôle

Inspiré par les essais de Judith Butler Gender Trouble et Bodies that matter – dans lesquelles la philosophe et théoricienne américaine questionne la nature performative du genre – Vincent Ferrané tente, dans Every-day, d’illustrer les tensions et limites d’un système dichotomique, opposant féminin et masculin. « En tant que photographe, mon activité se charge de fait d’une forme de représentation du monde. J’ai donc composé à partir de ce que les gens vivement réellement : un moment du quotidien », explique-t-il.

Lui vient alors l’idée de capturer le rituel de la préparation : le choix d’une tenue, le maquillage, le face à face avec le miroir lorsque l’on s’apprête à sortir. Une manière de donner à voir la fluidité du genre. « Un événement simple, mais clé, à la fois symbolique et corporel », estime-t-il. Dans les images de l’auteur, le corps est mouvant. Il virevolte, se change, se révèle, et se cache, flirte avec la non-binarité, et les conventions. Dynamique, il devient synonyme de construction comme de destruction. « Les prises de vue se sont déroulées en dehors d’une ambiance poseuse ou descriptive, confie Vincent Ferrané. L’idée était de créer ce dispositif qui laisse les personnes rejouer leur propre rôle, leur propre rituel avec leurs objets, leurs décors, leur façon unique et personnelle de faire. » Tout en contraste – marqué par la lumière crue du flash et la palette de couleurs vibrante – Every-day s’éloigne volontairement d’une reproduction naturaliste du réel. Avec douceur, empathie, l’artiste pénètre dans une intimité vulnérable, et fait vaciller les représentations communes de tels sujets.

Leo © Vincent FerranéLeo © Vincent Ferrané

S’affranchir des assignations

On retrouve, dans les clichés de l’artiste une sensibilité proche de celle de Mark McKnight et Jess T. Dugan, dont les créations visuelles l’influencent. Une volonté de présenter au public la diversité, la complexité des êtres humains. « Nous sommes toujours plus que la somme d’adjectifs, même exhaustive, qui pourrait objectiver notre genre, notre orientation sexuelle, notre couleur de peau, notre rapport au divin, la situation géographique de notre naissance… Nous composons à chaque instant avec ces différentes facettes de notre identité », rappelle-t-il.

Tout comme ses modèles, le photographe s’attache à proposer un regard affirmé, capable de transcender les esprits, et de s’épanouir au-delà de la sphère de la communauté LGBTQ+. En imposant une esthétique reconnaissable, une écriture d’auteur personnelle, Vincent Ferrané rend son propre regard visible à l’image, et fait de chaque cliché d’Every-day un dialogue entre deux individus, entre le voyeur et le vu. Représentés dans leur propre intérieur, les modèles s’affranchissent des assignations, des raccourcis imposés par la société et s’affirment comme leur propre personne. Plongés dans leur rituel – un rasage minutieux, un trait d’eye-liner raffiné, un torse plat, une mini-jupe plissée… – ils déclinent avec fierté les multiples représentations du genre. Une notion qui ne demande qu’à se nuancer.

 

Every-day, Éditions Libraryman, 40€ (signé), 56 p.

Ava © Vincent FerranéAva © Vincent Ferrané
Jackie © Vincent FerranéJackie © Vincent Ferrané

Matthias © Vincent Ferrané

Maty © Vincent FerranéMaty © Vincent Ferrané
Raya © Vincent FerranéRaya © Vincent Ferrané
Mathieu © Vincent FerranéMathieu © Vincent Ferrané

Leo © Vincent Ferrané

© Vincent Ferrané

Explorez
Raymond Depardon, l’éloge du passage
© Raymond Depardon
Raymond Depardon, l’éloge du passage
La Galerie Magnum présente Raymond Depardon : Passages, une rétrospective visible jusqu'au 26 juillet 2025. À travers une...
18 juin 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Le palmarès du prix Picto de la Mode 2025 : la mode au croisement des enjeux contemporains
Symbiose © Arash Khaksari
Le palmarès du prix Picto de la Mode 2025 : la mode au croisement des enjeux contemporains
À l’occasion de la 27e édition du prix Picto de la Photographie de Mode, la cour du Palais Galliera s’est transformée en un lieu...
16 juin 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Alex Bex révèle la sensibilité des cowboys texans
Intermission (Big Foot, Texas), de la série Memories of Dust © Alex Bex, France, 3rd Place, Professional competition, Documentary Projects, Sony World Photography Awards 2025.
Alex Bex révèle la sensibilité des cowboys texans
Avec sa série Memories of Dust, le photographe franco-texan Alex Bex ébranle les codes de la masculinité dans les ranchs de cowboys au...
13 juin 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
18 séries photo à découvrir aux Rencontres d'Arles 2025
Extrait de Father (Atelier EXB Paris, 2024) © Diana Markosian
18 séries photo à découvrir aux Rencontres d’Arles 2025
Alors que la 56e édition des Rencontres de la photographie d’Arles approche à grands pas, la rédaction de Fisheye vous invite à...
11 juin 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Que reste-t-il après le feu ? : des images, des voix, des actifs
Tour immersive en forêt © Alexandre Dupeyron
Que reste-t-il après le feu ? : des images, des voix, des actifs
À l’Écomusée de Marquèze, jusqu’au 28 septembre 2025, l’exposition 600° La forêt après le feu du collectif LesAssociés, pose une...
Il y a 6 heures   •  
Écrit par Fabrice Laroche
Archevêché by Fisheye : une 2e édition haute en couleur
© Marie Meister
Archevêché by Fisheye : une 2e édition haute en couleur
Du 7 au 12 juillet 2025, Fisheye investit la cour de l’Archevêché, lieu de rendez-vous incontournable du ()ff des Rencontres d’Arles, au...
Il y a 10 heures   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Bouche : l'épiderme selon Lucile Boiron
Bouche © Lucile Boiron
Bouche : l’épiderme selon Lucile Boiron
Avec sa série Bouche, Lucile Boiron, formée à l'École nationale supérieure Louis-Lumière, s'intéresse de près à la peau, aux fluides et...
19 juin 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Raymond Depardon, l’éloge du passage
© Raymond Depardon
Raymond Depardon, l’éloge du passage
La Galerie Magnum présente Raymond Depardon : Passages, une rétrospective visible jusqu'au 26 juillet 2025. À travers une...
18 juin 2025   •  
Écrit par Costanza Spina