Sarah Moon l’alchimiste

08 octobre 2020   •  
Écrit par Eric Karsenty
Sarah Moon l’alchimiste

Ses clichés les plus connus sont liés à la maison Cacharel, car elle en a peaufiné l’image pendant plus de quinze ans. Pourtant, l’œuvre de Sarah Moon dépasse de loin ce seul cadre, et le musée d’Art moderne de Paris nous invite cet automne à redécouvrir cette grande photographe dont les images, d’une intense présence, sont comme saisies au vol. Telles des étincelles. Cet article est à retrouver dans notre dernier numéro.

« Je n’ai pas le sentiment qu’une biographie puisse expliquer une œuvre, ce n’est qu’une des composantes »,

répond Sarah Moon quand on l’interroge sur son enfance, ses rencontres et son parcours d’autodidacte. Marielle Warin, de son vrai nom, nait à Vernon en 1941. À 16 ans, on la repère dans la rue pour le personnage de Gigi, dans un film d’Otto Preminger. On la photographie, elle n’est pas retenue pour le rôle, mais son physique accroche déjà. Trois ans plus tard, elle commence une carrière de mannequin qui se déroulera de 1960 à 1968.

Sa complicité avec les modèles lui permettra d’établir des relations privilégiées quand celles-ci lui demanderont de les prendre en photo pour confectionner leur book. Grâce à un Nikon prêté, elle travaille à l’instinct, dans la rue, créant des mises en scène riches d’imaginaire. Elle a l’occasion de côtoyer de grands photographes de mode, comme Guy Bourdin, mais elle développe son propre univers, où sa vision de la femme s’affranchit de la dimension érotique courante chez ses homologues masculins. Son regard à elle est complice, il invite à la narration, nourri par sa culture cinématographique acquise sur les bancs de la Cinémathèque auprès d’auteurs comme Erich Von Stroheim, Murnau ou Eisenstein. « Une photo, c’est l’image d’un film qui ne sera jamais tourné », dit-elle.

© Sarah Moon

Autodidacte

« Je me suis intéressée à la mode surtout pour la femme qu’elle habille et qui en devenait l’héroïne »,

explique Sarah Moon. On remarque ses photos, Peter Knapp lui passe une commande, et c’est bientôt la maison Cacharel qui lui confie son image en lui accordant de nombreuses campagnes et films publicitaires durant plus de quinze ans. Une aventure rendue possible par d’heureuses rencontres, en particulier celle avec Mike Yavel, en 1970, qui a été son assistant et auprès duquel elle dit avoir appris beaucoup de choses. « J’étais une autodidacte, et pour les campagnes que l’on me confiait, il fallait que le rouge soit rouge et que le bleu soit bleu, et ne pas se tromper dans le temps de pose », explique-t-elle. Alors quand en 1985, le précieux partenaire disparait, la photographe traverse une période difficile et remet en question sa pratique : « J’ai voulu voir ce que je voyais quand on ne me demandait rien. »

À cette même époque, son tireur Patrick Toussaint lui parle du film Polaroid noir et blanc, qui n’a qu’une sensibilité de 100 ASA, dont elle se servait déjà en studio pour tester la lumière. La simplicité du procédé la libère des contraintes précédentes, et elle s’oriente vers une pratique plus personnelle. « Il n’y avait plus rien : une seule optique celle de la petite chambre. Je voyais très vite si le temps de pose ou le cadre n’était pas bon. Au début ça m’a énormément rassurée. Le procédé de séparer le négatif du positif, la fragilité du film, les défauts qui s’y inscrivaient contribuaient à ce sentiment de périssable et d’éphémère. »« Je n’ai rien contre la nostalgie, ajoute l’artiste. La photographie m’intéresse pour son rapport au temps, cette allusion constante à la perte, à la mémoire, à la mort. La photographie m’échappe autant qu’elle me saisit. Il y a dans ma démarche une part d’inconscient que je ne cherche pas à analyser. »

© Sarah MoonLe rapport à l’enfance traverse les images de Sarah Moon, que ce soit les enfants qui regardent un modèle à travers les vitres d’une voiture, ou plus encore dans les films adaptés de contes, recontés et dans lesquels elle donne libre cours à son envie de raconter des histoires. Elle revient souvent à ce désir de narration, et l’exposition que lui consacre le musée d’Art moderne de Paris est justement construite comme un parcours que ses films balisent. « C’est Fellini qui disait que “tout est dans le grenier de l’enfance”. Je pense que c’est vrai, que l’enfance est une période particulièrement marquante puisque l’on ressent tout plus intensément, développe la photographe qui ajoute: Mon travail est un peu un exorcisme. » Une étrange alchimie qui transforme les personnages en fantômes, et le reste en apparitions. Des images hantées par une lumière irréelle.

 

Cet article est à retrouver dans son intégralité Fisheye #43, en kiosque et disponible ici

 

Sarah Moon, PasséPrésent

Jusqu’au 10 janvier 2021

Musée d’Art moderne, 11 avenue du Président Wilson, Paris 16e

© Sarah Moon

© Sarah Moon© Sarah Moon

© Sarah Moon

© Sarah Moon

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