Il y a des ouvrages qui restent intemporels… Publié en 2019, Si la vue vaut d’être vécue, miscellanées photographiques, en est l’un d’eux. Clément Chéroux nous y conte une dizaine d’histoires d’images, en mêlant anecdotes et réflexions fondamentales. Un manifeste à (re)lire sans plus attendre.
Un cliché volé de Britney Spears, une bible vicieuse, et plusieurs histoires de guillotine. Dans son ouvrage Si la vue vaut d’être vécue, Clément Chéroux – docteur en histoire de l’art, anciennement conservateur en chef au MoMA et actuellement directeur de la Fondation Henri Cartier-Bresson – aborde la grande histoire de la photographie à coups d’anecdotes et réflexions passionnantes. Dans ses miscellanées, l’auteur revient aux origines du 8e art, avec la plus ancienne photographie conservée et une admirable coquille, s’attarde sur des pratiques qui lui sont chères – le tir photographique et le photomaton – et pointe le caractère mortifère de la photographie. « Vouloir voir, c’est vouloir savoir, et vouloir savoir, c’est tenter désespérément de résoudre l’énigme de notre destinée finale », commente-t-il. De l’argentique au numérique, le spécialiste rend compte des états de la photographie. Et savez-vous qu’un laboratoire pharmaceutique américain avait commercialisé « paparazzi », une pilule visant à augmenter les performances sexuelles des hommes ? Si la vue vaut d’être vécue rassemble onze textes illustrés à dévorer d’une traite, ou à picorer selon les envies et besoins de chacun·e.
Comme s’il confondait la vie et la vue, l’historien de la photographie partage ses expériences, ou plutôt ses rencontres marquantes avec l’image. L’une est intime, l’autre est métaphorique, et toutes sont captivantes. Avec une distance maîtrisée, il invoque parfois d’autres maîtres tels que Roland Barthes, Henri Cartier-Bresson, Baudelaire, Aragon ou encore Jacques Henri Lartigue. À leur côté, il s’interroge, fouille, et expose. Nous voilà dans son musée intime. Et puis, souvent, Clément Chéroux se laisse absorber par une photo qu’il nous décrit, délicieusement. Il nous invite à prendre le temps, comme lui, de chercher, regarder, et partager des photos. Car sans elles, aucun historien ne pourrait analyser ces enregistrements du monde. Le genre, le bonheur, le temps ou encore la mort… Le 8e art n’est pas qu’une capture, il est un prolongement. Est-ce qu’une vie sans image vaut la peine d’être vécue ? Non, bien sûr que non, mais encore faut-il prendre le temps de voir, ou plutôt de regarder…
Si la vue vaut d’être vécue, Miscellanées photographiques, Textuel, 20 €, 200p.
Tir photographique, Deux anonymes, Italie, 1949, épreuve gélatino-argentique, collection particulière, Paris.
À g. Jeune femme sur un banc, Photographe amateur anonyme, France, année 1960, épreuve gélatino-argentique, collection particulière, Paris, et à d. boîte du Szondi-Test, Expérimentelle Trierdiagnostik, Berne, Hans Huber Verlag, 1949, collection particulière, Paris.
© Agnès Dahan Studio
Image d’ouverture : Tir photographique, Deux anonymes, Italie, 1949, épreuve gélatino-argentique, collection particulière, Paris.