
Dans A New Winter, Sofía Jaramillo s’attaque à l’imaginaire figé des sports d’hiver. En revisitant les codes visuels du ski, la photographe colombo-américaine compose une archive alternative où les corps racisés occupent enfin le centre du cadre. Entre élégance cinématographique, mémoire personnelle et politique de la représentation, ce projet propose une autre manière d’habiter la montagne.
Des silhouettes posent sur le manteau neigeux, des corps élégants trônent sur des skis, le soleil contraste les reliefs de l’Ouest américain. Au premier regard, les clichés de Sofía Jaramillo semblent familiers. Et pourtant, ces scènes, longtemps associées à une culture blanche et élitiste, sont incarnées par des skieurs et skieuses racisé·es. Ayant grandi à Sun Valley, station emblématique de l’Idaho et berceau du ski américain, l’artiste a très tôt perçu le poids des images dans la construction du sentiment d’appartenance. « Parmi des centaines de photographies historiques exposées au Sun Valley Lodge, presque aucune ne montrait des personnes de couleur. Cela m’a fait réfléchir à la façon dont l’histoire visuelle cultive le présent, et à la façon dont l’absence de représentation résonne encore aujourd’hui sur les pistes de ski, en particulier dans les communautés rurales », explique-t-elle.
A New Winter naît ainsi d’un désir de répondre à l’histoire par l’image, de proposer ce qui aurait pu être là depuis le début. Le médium devient alors un outil de réécriture. « Je suis constamment attirée par les images de référence qui dépeignent la joie, les loisirs et l’aspect ludique de la culture hivernale, des qualités que les personnes noires et métisses n’ont pas toujours été montrées en train de vivre dans les médias traditionnels ou les photographies historiques. Réimaginer ces moments est au cœur de mon processus créatif », déclare-t-elle. Sofía Jaramillo ne cherche pas à documenter une réalité brute, mais à reconfigurer l’imaginaire collectif. En s’inspirant d’archives, de la photographie de mode et de figures comme Slim Aarons ou Toni Frissell, elle compose des tableaux où la beauté n’est jamais gratuite. « Je suis attirée par la tension entre la beauté et la vérité, par la façon dont les images peuvent véhiculer une critique culturelle tout en restant cinématographiques, émotionnelles et inspirantes », confie l’artiste, revendiquant une pratique située entre art et documentaire. Chaque cliché agit comme si la montagne avait toujours été plurielle.



Réécrire la montagne
A New Winter est traversé par une dimension profondément intime. L’expérience de l’artiste, Latina évoluant dans un environnement où elle ne se voyait jamais représentée, irrigue toute la série. « Ma mission a toujours été de créer les œuvres que j’aurais aimé voir quand j’étais enfant, de créer des images qui offrent des possibilités, une affirmation et un sentiment d’appartenance », déclare la photographe. La thématique devient alors autant un moteur créatif qu’un geste réparateur. Cette intention se cristallise notamment dans le cliché intitulé « Seven Generations », mettant en scène Geneva Mayall, skieuse, athlète, artiste, mère et membre du peuple autochtone Potawatomi. Ce cliché résonne comme un passage de relais entre passé et futur. « Quand je lui ai demandé pourquoi elle avait choisi de participer au projet, elle m’a répondu que dans sa culture, on pense toujours sept générations en avant et sept générations en arrière. Elle voulait que les filles autochtones et les jeunes skieuses se sentent représentées et sachent qu’elles ont aussi leur place à la montagne », se remémore Sofía Jaramillo.
Sans jamais tomber dans le manifeste frontal, la série assume une dimension politique. Pour la photographe, l’engagement ne s’oppose pas à la poésie. « Tout art significatif comporte une forme de militantisme », affirme-t-elle, tout en laissant aux spectateur·ices la liberté de lecture. La mode, omniprésente dans les images, participe à cette stratégie douce. Les vêtements deviennent des marqueurs d’identité, des ponts entre le sport et l’art, entre performance et représentation. Collaboration avec les modèles, mise en scène pensée comme un espace de dialogue… Cette démarche s’accentue par le processus de création, à la fois long et collectif. « Leur présence et leur individualité façonnent la scène tout autant que ma mise en scène. Je veux m’assurer que chaque image reflète fidèlement leur personnalité, leur identité et leur expérience de vie », précise l’artiste. À travers A New Winter, Sofía Jaramillo rappelle, avec élégance, que les paysages aussi sont politiques.







