Solitude floue : les paradoxes nébuleux d’Aleksandr Babarikin

02 février 2022   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Solitude floue : les paradoxes nébuleux d'Aleksandr Babarikin

Visages déformés, silhouettes sibyllines, contrées oniriques ou villes nébuleuses… Le photographe biélorusse Aleksandr Babarikin compose avec le flou pour mieux interroger notre rapport à l’autre.

« En avril 2020, j’ai acheté mon tout premier boîtier. Je ne trouve toujours pas de raison rationnelle pour expliquer pourquoi je me suis mis à la photographie. J’aimais shooter, de temps en temps, avec mon téléphone, et j’ai décidé de tenter ma chance avec quelque chose de plus gros. Disons que j’ai succombé à l’appel de l’esprit. Peut-être s’agissait-il d’un besoin de m’exprimer autrement ? »

C’est ainsi qu’Aleksandr Babarikin, photographe biélorusse de 24 ans, s’est essayé au médium pour la première fois. Hasard et bienheureux concours de circonstances font partie intégrante de son œuvre. Ses images sont pareilles à des mirages, ceux qui témoignent d’une existence passée, lorsque les bains de foule n’avaient rien d’inhabituel. Les affres du temps semblent avoir distordu ces réminiscences lointaines, de même que les figures qui les accompagnent. « Je me décrirais comme un mec qui parcourt les champs à la recherche de la ville, par-delà les collines. Mon appareil ? La seule preuve que, même pendant une fraction de seconde, j’ai vu ces espaces », ajoute-t-il.

© Alexander Babarikin© Alexander Babarikin

Un goût du paradoxe

Dans le monde d’Aleksandr Babarikin, les lumières bavent, les visages coulent, tout se brouille et se confond. Une infinité d’êtres anonymes peuplent les grandes agglomérations et errent dans leurs méandres nocturnes, tels des spectres sans âme. Une poésie de l’entremêlement, de la fusion de l’impossible individualité surgit alors de ces bribes de souvenirs effervescents. Le bleu tristesse, le rose colère, le jaune bonheur, le noir et blanc du moment en suspens, qui fige le réel… Les teintes délavées, comme épuisées par la frénésie du mouvement, rappellent le passage du temps. Un leitmotiv d’une lenteur étonnante face à l’incessante impétuosité qui anime chacun des citadins.

Ce goût du paradoxe se prolonge d’ailleurs en bien des aspects. Car les masses compactes abritent pourtant des âmes plurielles. Et dans sa galerie, le naturel se superpose aux artifices. Les campagnes se juxtaposent aux métropoles. Le calme du néant s’oppose à la torpeur des sentiments. Ces associations cristallisent ainsi une perte de repères.

© Alexander Babarikin© Alexander Babarikin

Une âpre solitude urbaine

« Le cyberpunk m’inspire, je ne suis pas en quête d’un monde idéal. J’aime la ville, ses contrastes, et j’aime souligner certaines problématiques… Il y a un certain romantisme à cela »

, explique Aleksandr Babarikin. Et cette inclination pour la dystopie prend tout son sens dans notre conjoncture. S’il n’a « pas de projets précis », le photographe donne à voir la rue telle qu’elle s’offre à lui : une âpre solitude urbaine.

Mais cette esthétique particulière, inhérente aux espaces qu’il capture, se distille en une certaine tendresse à l’égard de l’autre, inconnu et familier à la fois. Derrière ses tableaux abscons se cache une envie de rassembler autour de ce langage universel qu’est le 8e art. « Bien que les tirages traduisent ma vision des choses, je ne pense pas qu’il ne s’agisse que de moi, quand je crée une image. Je m’efforce de partager les émotions que les autres peuvent ressentir. C’est ma façon de dire : “Vous n’êtes pas seuls”. C’est également l’une des raisons qui justifie mon utilisation de l’abstraction. Ce n’est pas à propos de moi, c’est à propos d’eux », conclut-il. Une démarche complexe qui rappelle que l’étranger des villes est sûrement en proie aux mêmes doutes que nous.

© Alexander Babarikin© Alexander Babarikin
© Alexander Babarikin© Alexander Babarikin
© Alexander Babarikin© Alexander Babarikin
© Alexander Babarikin© Alexander Babarikin
© Alexander Babarikin© Alexander Babarikin
© Alexander Babarikin© Alexander Babarikin

© Aleksandr Babarikin

Explorez
Julie Jones est nommée directrice de la Maison européenne de la photographie
Julie Jones © Agnès Geoffray
Julie Jones est nommée directrice de la Maison européenne de la photographie
Le conseil d’administration de la Maison européenne de la photographie vient de révéler le nom de sa nouvelle directrice : il s’agit de...
12 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
4 livres photo, signés Fisheye Éditions, à (s’)offrir à Noël
© Boby
4 livres photo, signés Fisheye Éditions, à (s’)offrir à Noël
Offrir un ouvrage à Noël est toujours une belle manière d’ouvrir des portes sur de nouveaux univers. À cet effet, nous avons...
12 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Cloud Dancer : 7 séries photo qui arborent la couleur Pantone 2026
© Damien Krisl
Cloud Dancer : 7 séries photo qui arborent la couleur Pantone 2026
Chaque mois de décembre, Pantone dévoile sa couleur pour l’année suivante. Pour 2026, il s’agira de « Cloud Dancer », à savoir une nuance...
10 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
La sélection Instagram #536 : perceptions altérées
© Melchior Dias Santos / Instagram
La sélection Instagram #536 : perceptions altérées
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine s’amusent à déformer leurs images. Ils et elles jouent avec le flou, la...
09 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Grégoire Beraud et les terres colorées de l'Amazonie
Kipatsi © Grégoire Beraud
Grégoire Beraud et les terres colorées de l’Amazonie
Dans sa série Kípatsi, réalisée dans l’Amazonie péruvienne, Grégoire Beraud met en lumière la communauté Matsigenka, sa relation à la...
Il y a 7 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
À la MEP, les échos de vie urbaine de Sarah van Rij
© Sarah van Rij
À la MEP, les échos de vie urbaine de Sarah van Rij
Jusqu’au 25 janvier 2026, Sarah van Rij investit le Studio de la Maison européenne de la photographie et présente Atlas of Echoes....
12 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Julie Jones est nommée directrice de la Maison européenne de la photographie
Julie Jones © Agnès Geoffray
Julie Jones est nommée directrice de la Maison européenne de la photographie
Le conseil d’administration de la Maison européenne de la photographie vient de révéler le nom de sa nouvelle directrice : il s’agit de...
12 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
4 livres photo, signés Fisheye Éditions, à (s’)offrir à Noël
© Boby
4 livres photo, signés Fisheye Éditions, à (s’)offrir à Noël
Offrir un ouvrage à Noël est toujours une belle manière d’ouvrir des portes sur de nouveaux univers. À cet effet, nous avons...
12 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet