12 jours et Traverser : profitez des vacances pour (re)découvrir les actualités de Raymond Depardon. Un film et un livre à « déguster » sans modération.
« Plutôt que témoin, je me sens davantage passeur. Les témoins sont rarement optimistes pour l’avenir. Moi je veux passer le relais. Au fond, je suis un passager de mon époque. » Et pour rendre compte de son époque, Raymond Depardon a voyagé au Tchad, au Soudan, au Vietnam, aux États-Unis en Afghanistan en Mauritanie, en Bolivie, bref, il a traversé le monde. Début septembre, paraissait Traverser, un ouvrage accompagnant l’exposition éponyme présentée à la Fondation Henri Cartier-Bresson. La terre natale, les voyages, la douleur et l’enfermement. Ces quatre thèmes abordés en mots et en images synthétisent la vie et les interrogations du photographe âgé de 75 ans. Et avant de plonger dans son enfance (au sein de la ferme du Garet) et de partir en balade aux quatre coins du monde, on découvre un délicieux entretien avec Agnès Sire, la directrice de la Fondation Henri Cartier-Bresson. Cette dernière aborde le parcours du photographe à travers de grands sujets : la conception d’une bonne photo, le lien entre la photographie, le cinéma et la littérature et plus largement son rapport au médium. Un beau livre à consommer sans modération.
« Le cinéma, c’est d’abord l’écoute de l’autre, le silence du cadreur, l’humilité et le talent du réalisateur, sauf pour la fiction qui met en jeu d’autres temps » Agnès Sire
AFRICA. 1995.
Erythrea. Dahlak Islands.
© Raymond DepardonFRANCE. Paris. In the railway network. 1997.
© Raymond Depardon
à g. Îles Dahlak, Érythrée, 1995, à d. Métro Avenue du Président-Kennedy, Paris 16e, 1997 © Raymond Depardon / Magnum Photos
Enfermement prolongé
Son dernier film, 12 jours, actuellement en salle, prolonge la dernière partie de son ouvrage consacré à l’enfermement. Dans son livre comme à l’écran, il y déroule des thèmes qui lui sont chers : la justice, la prison, la psychiatrie, l’hôpital. 12 jours ? C’est le temps dont disposent les établissements pour présenter les patients hospitalisés sous contrainte à un juge des libertés, ce dernier devant statuer sur le prolongement de l’internement ou sur la remise en liberté. Depardon a filmé 10 patients internés à l’hôpital du Vinatier à Lyon. On pénètre dans un univers poignant, quoique glaçant. Un couloir, des portes closes et quelques chambres vides. Et puis le réalisateur resserre ses plans, silence, on entre en salle d’audience. Les échanges entre juge et patient sont filmés sur le vif, on se croirait en huis clos. On découvre des individus fragiles. 12 jours suggère et questionne plus qu’il ne juge. C’est au spectateur de mener l’enquête. Quelles sont les limites de la procédure ? Par qui doit-on se laisser convaincre ? L’équilibre entre le pouvoir médical et juridique est-il légitime ? Une fois encore, Depardon aborde avec sensibilité la question du juste et de l’autorité.
« Jamais ne s’arrête l’idée d’une photographie, d’une image à faire, la mémoire d’une lumière, la surprise d’un cadre, jamais de repos pour la quête d’un bonheur photographique ». Écrivain, photographe et réalisateur, on présente souvent l’homme comme étant sans limite, voilà qui est amplement confirmé.
Traverser, Raymon Depardon, Xavier Barral, 39 €, 260 p.
Image d’ouverture : Hôpital psychiatrique Collegno, Turin, Italie, 1980 © Raymond Depardon / Magnum Photos