Avec Lockdown Collages, l’artiste sud-africain Nico Krijno transcende le réel pour représenter un monde plus intérieur. Un ensemble de collages surréalistes qui brouille notre perception du concret. Cet article est à retrouver dans notre dernier numéro.
« J’aime particulièrement me concentrer sur les limites du médium photographique en manipulant la surface du tirage ou du négatif. Le monde à l’intérieur de ces quatre bords ressemble alors davantage à une scène de théâtre qu’à une fenêtre sur le monde »,
déclare Nico Krijno. Né en 1981, le photographe sud-africain consacre « 98% de sa pratique artistique » aux collages numériques et artisanaux. À l’origine de chaque création, un croquis illustrant une idée sortie de son imaginaire, puis une dizaine d’images, prises en jouant avec l’éclairage, la composition, la perspective… Autant de paramètres qui brouillent notre compréhension. De ces clichés fleurissent ensuite les montages, les plis, les expérimentations au scanner, les rapprochements d’angles opposés, comme un mariage absurde d’éléments qui ne sont pas censés se rencontrer. Une manière pour l’auteur d’interroger l’(in)capacité d’une photographie unique à représenter une réalité multisensorielle.
C’est en plein confinement que Nico Krijno s’est lancé dans la réalisation de ses Lockdown Collages. À la veille de « l’enfermement du monde », il quittait son foyer – une ferme perdue dans les montagnes – pour entamer un voyage professionnel autour du monde, de l’Australie au Danemark en passant par les États-Unis. Un périple réjouissant pour l’artiste qui n’a pas pour habitude de sortir de chez lui. Soudainement contraint à rester sagement dans sa chambre d’hôtel, loin de sa famille et de ses repères, il décide de passer sa frustration dans la création. Et de cet événement hors normes ont jailli des expérimentations visuelles absurdes, vouées à déconstruire notre réalité. Un surréalisme faisant écho à une situation tout aussi étrange. Natures mortes insensées, bugs organiques, paysages séquencés… Dans ses œuvres, le monde arrête d’avoir du sens, et le rôle même du 8e art en tant que « médium du réel » est mis à mal. « Je brouille toute information spatiale et comprime l’information visuelle pour interroger la perception de la photographie conventionnelle quotidienne », ajoute l’auteur. Perçus comme une danse, où chaque essai de collage évoque un couple esquissant quelques pas, les montages de Nico Krijno transcendent le concret pour représenter un univers plus intérieur. Un univers qui tisse des liens entre émotions et réalité, qui renverse les barrières qu’érige le rationnel. « Il s’agit d’une œuvre qui fournit des preuves étranges et douteuses d’une vision fragmentée du monde face à l’objectif. Mais c’est aussi un art unique mettant en lumière le processus et la performance, plutôt que le simple produit fini », conclut-il.
© Nico Krijno