« Territoires et destins » : nostalgie du temps présent

29 août 2019   •  
Écrit par Julien Hory
« Territoires et destins » : nostalgie du temps présent

Jusqu’au 25 octobre, Jérôme Sessini expose sa dernière décennie de photographie à la Magnum Gallery. Un ensemble parcellaire d’une œuvre habitée par la nostalgie. Une étape également marquée par un passage récent par la mode.

« On m’a dit que mes photos étaient marquées par la tristesse, je dirais plutôt par la nostalgie. » Ces mots que Jérôme Sessini pose sur l’accrochage Territoires et destins, proposé par la Magnum Gallery, évoquent pourtant un groupement d’images assez récentes. Le circuit entre ces œuvres fonctionne, certainement par la sincérité avec laquelle le photographe capte l’essence du moment, le transformant en un présent intemporel. Nous aurions pu voir des milliers de photos du Malecón havanais, sans qu’aucune ne ressemble vraiment à celles qui nous sont présentées ici. Une profondeur jusque dans la surface, une texture qui perce la chair des bâtiments, une matière presque palpable.

Si l’agencement des images peut surprendre, comme la photographie retenue de Saint-Denis (Ile-de-France), ces captations sont à voir dans ce qu’elles ont d’intègre. Une identité propre dans laquelle tout décorum serait superflu. Connu pour ses travaux sur les émeutes de la place Maïdan (Kiev, Ukraine) et sur le crash du vol 777 de la Malaysia Airlines (région de Donestk, Ukraine), primé par le Word Press Photo en 2015, dans cette exposition, aucun sensationnalisme ne s’affiche. Ne restent que des sensations de l’ordre de l’indiciel, des cicatrices de la violence. Un attachement au terrain dans ce qu’il a de fondateur, des racines vosgiennes aux ailleurs du Bayou (Nouvelle-Orléans, États-Unis), Jérôme Sessini chronique une histoire qui ne saurait se dissoudre dans des interprétations réductrices.

© Jérôme Sessini / Magnum Photos

Front line in the Old city. FSA fighters use mirrors to observe snipers. Aleppo, Syria, 2013 © Jérôme Sessini / Magnum Photos

Les traces d’une histoire aveugle

Beaucoup de ses images traduisent la réalité du terrain et des êtres. Pour ne prendre qu’un seul exemple : un portrait pris à Détroit dans lequel apparaît une résidente, issue des quartiers pavillonnaires, qui porte la tête haute et affiche un regard fier. Cette image résume à elle seule la chute et la renaissance de cette ville du Michigan ravagée par la crise mais qui reprend peu à peu le dessus aux prix de sacrifices et de transformations radicales et profondes. Un portrait sensible comme le sont les photographies de Jérôme Sessini qui distribue, dans l’ exposition Territoires et destins, les traces d’une histoire aveugle pour beaucoup, commune à tous. Difficile, dans ces territoires, de garder de la distance. Le photographe le sait : « Je me demande si la photo me convient encore pour exprimer ce que je veux transmettre. Le monde a changé, les photographes ont changé, le métier ne se fait plus de la même manière… peut-être que me tourner vers d’autres modes d’écriture , comme la littérature, me conviendrait.» Lorsque Magnum l’invite à tourner son objectif vers la photographie de mode, le photoreporter s’engage et voit cette suggestion comme une opportunité. « Je n’avais jamais fait ça avant ; puis la proximité avec le modèle, le fait de prendre son temps, de sortir de mes habitudes aussi, m’a conduit à réaliser ces clichés. » S’il ne sait pas si cette voie se poursuivra, son regard singulier s’exprime encore.

© Jérôme Sessini / Magnum Photos

Solitude. Fashion Shoot with model Bianca O’Brien. Athens, Greece, 2018 © Jérôme Sessini / Magnum Photos

© Jérôme Sessini / Magnum Photos

Rationing store, downtown Havana. Havana, Cuba, 2008 © Jérôme Sessini / Magnum Photos

Explorez
À Arles, Lila Neutre déploie une piste de danse et de résistance
Edwin Xtravaganza (Latex Ball n°1), série Sculpter le soi – The Rest is Drag, 2015. © Lila Neutre. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.
À Arles, Lila Neutre déploie une piste de danse et de résistance
Pour les Rencontres d’Arles, jusqu’au 5 octobre 2025, Lila Neutre installe une piste de danse visuelle à la Maison des peintres, portant...
08 juillet 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les images de la semaine du 30 juin 2025 : sur les cimaises
Lesbians Unite, Revolutionary Women’s Conference, Limerick, Pennsylvanie, octobre 1970 © Donna Gottschalk, Courtesy de l’artiste et de Marcelle Alix
Les images de la semaine du 30 juin 2025 : sur les cimaises
Cette semaine, dans les pages de Fisheye, les images s’accrochent sur les cimaises de divers espaces d’expositions à Paris et ailleurs...
06 juillet 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Arles 2025 : à la Galerie Triangle, la jeunesse a le dernier mot
© Nicolas Serve
Arles 2025 : à la Galerie Triangle, la jeunesse a le dernier mot
À l’occasion des Rencontres de la photographie d’Arles 2025, la Galerie Triangle revient avec GÉNÉRATION, un événement dense et...
05 juillet 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
L'été photographique de Lectoure : rassembler par l'image
Parce que. Ici., 2021-2025 © Anne Desplantez & les enfants du Sarthé
L’été photographique de Lectoure : rassembler par l’image
« Ensemble », l’édition 2025 de L’été photographique de Lectoure, met à l'honneur le collectif. Du 12 juillet au 21 septembre 2025, la...
04 juillet 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Nos derniers articles
Voir tous les articles
À Arles, Lila Neutre déploie une piste de danse et de résistance
Edwin Xtravaganza (Latex Ball n°1), série Sculpter le soi – The Rest is Drag, 2015. © Lila Neutre. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.
À Arles, Lila Neutre déploie une piste de danse et de résistance
Pour les Rencontres d’Arles, jusqu’au 5 octobre 2025, Lila Neutre installe une piste de danse visuelle à la Maison des peintres, portant...
08 juillet 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
La sélection Instagram #514 : images indociles
© séquoia photos / Instagram
La sélection Instagram #514 : images indociles
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine incarnent, chacun·e à leur manière, le thème de la 56e édition des célèbres...
08 juillet 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Yves Saint Laurent : une histoire en miroir de la photographie et la mode
Polaroïd pris par le personnel de la maison de couture, cabines du 5, avenue Marceau, Paris. Robe de mariée portée par Laetitia Casta, collection haute couture printemps-été 2000, janvier 2000. © Yves Saint Laurent © Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent
Yves Saint Laurent : une histoire en miroir de la photographie et la mode
Cet été, parmi les accrochages à retrouver aux Rencontres d’Arles se compte Yves Saint Laurent et la photographie, visible à la Mécanique...
07 juillet 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les coups de cœur #549 : Ainhoa Ezkurra Cabello et Bérangère Portella
Andrea © Ainhoa Ezkurra Cabello
Les coups de cœur #549 : Ainhoa Ezkurra Cabello et Bérangère Portella
Ainhoa Ezkurra Cabello et Bérangère Portella, nos coups de cœur de la semaine, saisissent l’intime, les corps et les relations aux...
07 juillet 2025   •  
Écrit par Marie Baranger