Né de la rencontre entre la musicienne électronique Alexi Shell et le talent du vidéaste Florent Augizeau épaulé par Lola Margrain, le clip The Fall mêle composition hypnotique et esthétique envoûtante. Un conte visuel aux influences queer et futuristes.
Entre mythe et réalité, majesté et inquiétude, The Fall met en scène autant la souffrance et la puissance féminines que « la présence de la nature comme force vivante », selon les mots de Lola Margrain. Pour cette aventure commune, les deux réalisateurices ont exploré le territoire islandais, bercé·es par leurs fantasme et la beauté des paysages spectaculaires réels. Et pour créer cet espace dramatique que l’on voit dans le clip, l’une et l’autre ont joué avec les contrastes et l’ambivalence offert·es par l’Islande : « La région est clairement plus vivante et en mouvement que peut-être n’importe quel autre endroit sur Terre – que j’aie pu visiter du moins, affirme la vidéaste. Les couleurs et la lumière changent rapidement, radicalement. Un même espace peut avoir une beauté céleste et virer du tout au tout à une atmosphère très dramatique. »
L’Islande leur est apparue à tous·tes les deux comme idéale pour la mise en scène d’une créature aquatique mythique – incarnée par Alexi Shell – tout droit sortie des tristes marées noires pour échouer sur une plage de sable – noire elle aussi. The Fall raconte la douloureuse arrivée de cette sirène sur la terre ferme et sa difficulté à s’y acclimater, mais aussi son évolution progressive tandis qu’elle puise dans sa force féminine, ici représentée comme surnaturelle. Elle rêve d’une liberté qui lui permettrait de ne rien sacrifier d’elle-même et de cette puissance. D’après Florent Augizeau, « Sur cette même plage, il y a deux versions d’Alexi Shell : l’origine même de son essence, puis la femme conquérante. » Le clip traduit ainsi l’obsession de la musicienne pour la figure transgressive de la sirène, qui offre à l’artiste et militante pour les luttes queer l’occasion d’aborder les thèmes qui sont chers – entre autres le care et l’inclusivité.
L’art du ralenti
Au cœur de la vidéo, les contrastes brillent. Tantôt, les plans défilent à toute vitesse au rythme des lourdes basses frénétiques à 140 BPM, tantôt, ils suivent la lenteur hypnotique d’une musique plus ambiante. « Je pense que la magie surgit souvent à travers une certaine forme de lenteur », précise Lola Margrain. Et si les deux artistes reconnaissent l’impact du 8e art sur leur travail de vidéastes, son influence sur leurs imaginaires diffère. L’un y trouve une véritable source d’inspiration tandis qu’il s’agit davantage d’un background pour l’autre. Chez Lola Margrain, « c’est souvent telle ou telle image visuelle ou symbolique qu'[elle a] vue dans un film ou retenue d’un livre ou d’une musique qui vont inconsciemment faire germer ou révéler une idée ». Le travail de Florent Augizeau, lui, est influencé par les photographies de mode des années 1990 ou encore le design des années 1980. D’où l’impression d’une scène de shooting, notamment grâce aux beaux costumes de la designer Elena Budu. « Il y a là quelque chose de très sombre et de dramatique dans le rendu qui me parle énormément », explique-t-il. L’impact de la photographie, de toute évidence très présente dans l’œuvre, trouve sa meilleure manifestation dans le slow motion. Car « le ralenti, c’est l’irréel ; c’est le rêve parfois. Et poussé à l’extrême et dans un cadre bien précis, on peut être tenté de créer une sorte de tableau », conclut le réalisateur avec sagesse.
© Florent Augizeau et Lola Margrain